2007-05-02

Des notes d'examen inflationnistes

Les trois timbres ci-contre, émis en l'espace d'un an, témoignent de l'hyperinflation qui a secoué l'Allemagne en 1923. Les deux premiers timbres nous rappellent qu'un million contient six zéros et un milliard en contient neuf, et que les Allemands de l'époque ne l'ignoraient pas. Le second timbre, qui valait 100 marks à l'origine, a dû recevoir une surcharge qui multipliait par dix millions sa valeur nominale. Avant la fin de l'année, une réforme monétaire draconienne donnait lieu à une nouvelle émission : le troisième timbre est libellé à 5 pfennigs, soit 0,05 mark.

Or, émue par les faibles taux de réussite dans le cours d'introduction à l'économie, la direction d'un Cégep que nous ne nommerons pas, décide d'envoyer des gestionnaires rencontrer les professeurs concernés. Un dialogue de sourds s'engage entre partisans de l'augmentation des compétences étudiantes et partisans de l'amélioration des bulletins. Mais un professeur raisonnable accepte enfin de faire une concession. Puisque le calcul du PIB par habitant est un véritable casse-tête pour les étudiants en difficulté (c'est-à-dire ceux qui intéressent la direction), il propose de supprimer ce calcul. Il est vrai que le PIB se mesure souvent en milliards et la population en millions, et que certains étudiants aboutissent, par exemple, à un PIB annuel par habitant de 46 dollars pour le Canada et de 175 millions de dollars pour l'Éthiopie. Même si le résultat n'aide pas vraiment ces étudiants à analyser la situation économique, il faut reconnaître qu'à quelques zéros près, ils avaient trouvé le bon chiffre.

Autre innovation audacieuse proposée dans le cadre de cette fructueuse réunion financée par les contribuables, celle des taux de croissance « approximatifs ». Chacun sait qu'une hausse de 10 % suivie d'une hausse de 20 % aboutit à une hausse cumulée de 32 % (de la même façon que 1,10 × 1,20 = 1,32). On peut en déduire qu'un taux d'intérêt de 32 % combiné à une inflation de 20 % ne rapporte en réalité que… 10 %. Mais voilà, ce genre de concept donne mal à la tête aux étudiants les plus ignorants, même s'il fascine les autres. Alors, pourquoi ne pas proposer, à tout le monde, une formule simplifiée : dorénavant, un taux d'intérêt de 32 % combiné à une inflation de 20 % rapportera 32 – 20 = 12 %. Le résultat est faux mais il est facile à calculer. Le professeur qui nous propose cette nouvelle méthode pédagogique assure que la Banque du Canada se sert de la même simplification. La représentante de la direction voit cette innovation d'un bon d'œil, « si cela peut aider les étudiants ». Voilà une façon habile d'aider les ballots.

Évidemment, il n'est pas question de permettre aux banques de se montrer si cavalières avec le rendement de nos propres fonds de retraites, ni au ministère de l'éducation de truquer ainsi nos soi-disant augmentations de salaire. La formule proposée n'est valable que dans le cadre scolaire! Après tout, l'école est là pour fabriquer des étudiants diplômés et non des travailleurs compétents.

On nous dit d'ailleurs que la formule exacte du taux de croissance a perdu de son intérêt, à une époque où l'inflation est redevenue faible. Mais voilà, nos étudiants ont une longue vie devant eux, au moins 45 ans avant la retraite, presque l'éternité. Et si le taux d'inflation se remettait à faire des siennes d'ici là, Achtung! La compétence acquise dans notre cours d'économie deviendrait une désastreuse… incompétence.

(Voir les précédents billets sur les poulets de trois livres qui en pèsent deux et l'approche par incompétence.)

2 commentaires:

Senechal a dit...

C'est explicitement pour cela que j'ai abandonné de poursuivre mes études à "l'établissement scolaire quelconque."

Non pas parce que j'ai reçu une offre d'emploi irrésistible, mais parce que je devais comparer cela avec la réforme mathématique qui permet de négliger des données économiques avec une ignorance digne d'Enron.

Il ne faut pas considérer comme compétence la capacité de "faire ce qu'on te dit parce que ce qu'on te dit c'est correct" si le résultat est une gaffe à intérêt composé.

(Note personelle: J'ai repris tous mes anicens bouquins et deux nouveaux pour pratiquer la seule chose que j'ai aimée de mon temps à "l'établissement": le mandarin.)

再见,

金 白牙。

Bái Lìdé a dit...

Bonjour Monsieur Premier-fils-doré (金太朗 Kintarô) Dentblanche (白牙 Shiraga). Ainsi, la supercherie n'est pas complètement passée inaperçue. De plus, votre message prouve que vous pouvez manier le japonais et le chinois. Vous irez loin dans la vie! Surtout si vous savez, bien que la chose soit tenue secrète dans certains établissements, que Ein Milliarde prend un nombre précis de zéros.