2007-05-30

Lettre chinoise

La lettre suivante nous a été transmise par une visiteuse de ramou.net avec mission de la déchiffrer. À l'intention des gens ne connaissant pas le chinois (c'est à dire les gens « normaux »), nous avons indiqué, plus bas, la traduction et la prononciation des caractères utilisés. Alors, en avant pour le décryptage : il s'agit d'un exercice aussi sain que le sudoku.

L'adresse porte la mention :
Partie centrale de l'avenue du Jiangxi dans cette même ville
Bureau des travailleurs du Comité révolutionnaire de Shanghai
À l'attention du camarade responsable

本市江西中路
上海劳动局革命委员会
负责同志收
La lettre a donc été postée à Shanghai, par la personne dont l'adresse figure au bas de l'enveloppe.

Le bandeau supérieur contient le slogan :
Souhaitons respectueusement une longue vie au président Mao.

敬祝毛主席万寿无疆

L'encadré sur la gauche est signé de la main de Mao Zedong :
Quand il y a lutte, il y a sacrifice : la mort est chose fréquente. Mais comme nous avons à cœur les intérêts du peuple, mourir pour lui, c'est donner à notre mort toute sa signification.

要奋斗就会有牺牲,死人的事是经常发生的。但是我们想到人民的利益,想到大多数人民的痛苦,我们为人民而死,就是死得其所。 Extrait de Servir le peuple, 8 septembre 1944.

Le portrait sur la gauche représente Norman Béthune, chirurgien canadien d'obédience communiste qui participa à la Guerre d'Espagne et mourut en Chine d'une septicémie pendant la campagne de 1939.

Vocabulaire

1. běn racine, origine, ce, cahier, [livre]
2. shì marché, ville
3. 江西 Jiāngxī (province, 赣)
4. zhōng / zhòng milieu, centre, au milieu de / atteindre frapper
5. chemin, avenue
6. 上海 Shànghǎi (municipalité, 沪)
7. 劳动 láodòng travail (manuel)
8. département, bureau, [partie, manche]
9. 革命 gémìng révolution, faire la révolution
10. 委员会 wěiyuánhuì comité, commission, conseil
11. 负责 fùzé se charger de, sérieux
12. 同志 tóngzhì camarade
13. shōu recevoir, récolter
14. jìng respecter, respectueusement, hommage, offrir avec respect
15. zhù souhaiter, féliciter, célébrer
16. 毛主席 Máo Zhǔxí Président Mao
17. 万寿无疆 wànshòu-wújiāng longue vie
18. yào / yāo vouloir, devoir, [futur proche]
19. 奋斗 fèndòu lutter, travailler d'arrache-pied
20. jiù s'approcher, entreprendre, justement
21. huì / kuài réunion, savoir, pouvoir / comptable
22. yǒu avoir
23. 牺牲 xīshēng animal offert en sacrifice, se sacrifier, mourir en martyr, sacrifier
24. mourir
25. rén homme, (clé 9)
26. de / dí / dì [particule adjectivale, particule structurale] / en effet
27. shì affaire, chose, événement
28. shì être
29. 经常 jīngcháng souvent
30. 发生 fāshēng avoir, lieu, se produire, arriver
31. 但是 dànshì mais
32. 我们 wǒmen nous
33. xiǎng penser, espérer, pensée
34. dào vers, arriver
35. 人民 rénmín peuple
36. 利益 lìyì intérêt, bénéfice, profit
37. 大多数 dàduōshù la grande majorité
38. 痛苦 tòngkǔ douleur, souffrance, peine
39. wéi pour
40. 人民 rénmín peuple
41. ér et, aussi, mais, (clé 126)
42. 就是 jiùshì même si
43. dé / de / děi obtenir / [possibilité, degré] / devoir
44. ils, leurs
45. suǒ bureau, service, [maison, immeuble]

2007-05-27

Yappari: Chauffé par les fesses

Au Japon, Bai Lide se nomme Renachan. Son comportement semble si étrange qu'on en a fait un personnage de bande dessinée.
(Texte et dessin de Rié Mochizuki)

 

1.
にほん の きおん は マイナス には ならない。

Au Japon, la température ne descend jamais sous zéro.


なのに いえ の なか は さむい。

Mais il fait froid dans les maisons.

ぶるぶる Gla-gla-gla.

2.
しかし すわる と あたたかいのだ!

Il faut dire qu'on est bien chauffé quand on s'assoit par terre!

3.
べんざ さえも あたたかい。

Même le siège de toilette est chauffé.

4.
そして なんと でんしゃ の ざせきも!

Quoi? Les banquettes de train sont chauffées elles aussi!


にほんじん は まず おしり を あたためる。

Les Japonais sont un peuple qui se réchauffe par les fesses.

Vocabulaire

1. コウ . しり fesses, derrière
2. にほん Japon
3. きおん température
4. カ, ケ . いえ, や maison, foyer
5. チュウ . なか, うちあた-る intérieur, dans, milieu
6. カン . さむ-い hiver, froid
7. ザ . すわ-る s'asseoir
8. ダン, ノン . あたた-か-かい-まる-める chaud, tiède
9. べんざ siège de toilette
10. でんしゃ train
11. ざせき siège, place assise, banc
12. にほんじん Japonais

(Si vous ne connaissez rien au japonais, affichez le tableau des alphabets katakana et hiragana pour déchiffrer la prononciation.)

2007-05-23

Dessin revu et corrigé

Dessin de Renaud Bouret - 1979 Big Faut « 18 ans, jeune marié »
Dessiné par futur-Bai Lide
Revu et corrigé par une gamine
1979

2007-05-19

Le castor invisible

Parc de la Gatineau au printemps - Photo: Renaud Bouret

Patiemment le bouleau
Sort de l'ombre,
Le castor ingénieux
Détruit son édifice,
La bernache insensible
Lui montre la queue,
L'habitant ne connaît
Plus son nom,
Il est seul
Il mourra ignoré.

2007-05-16

Le soldat Martines en Tunisie (3)

Nous retrouvons Cirino Martines au moment où les Alliés déclenchent la bataille de Tunisie. Les soldats italiens cessent alors de travailler dans les champs de mines et se retranchent dans des souterrains, en attendant les ordres. (Voir aussi le premier et le deuxième épisode de ce témoignage.)

La guerra è finita

Or, le moment arriva où la Tunisie devait tomber aux mains des Alliés. L'offensive commença le 7 mai 1943. Les obus arrivaient en plein sur l'endroit où nous avions installé notre camp. Nous campions dans des trous, sous la terre. Personne n'avait le droit de sortir de là, sans un ordre express de l'état-major. En attendant, le soir du 6 mai, un camion vint nous livrer les rations. Il tombait une telle pluie d'obus, parce que les Américains nous bombardaient, qu'aucun d'entre nous n'osa sortir pour chercher les rations. Nous étions à quinze mètres de la route. Le camion a attendu un petit moment, puis, voyant ce qui se passait, il a fait demi-tour et il est reparti. Et nous sommes restés sans nourriture.

Le matin du 7, à trois heures, l'offensive a repris de plus belle. Et on ne pouvait toujours pas bouger avant d'avoir reçu l'ordre de l'état-major. Une demi-heure avant l'aube, alors que la nuit était encore noire, le général nous fit enfin donner l'ordre de nous replier. Et nous sommes partis. Nous marchions et les obus tombaient tout autour de nous. Je me dis alors que, quand l'artillerie lance des obus, s'ils font du bruit en tombant, il n'y a rien à craindre. Mais si on ne les entend pas, ça veut dire qu'ils nous tombent en plein sur la tête. Pendant que nos troupes se repliaient, j'ai entendu un tout petit sifflement, et un obus a explosé. J'ai été chanceux, même s'il n'a pas explosé très loin. Et, à force de marcher, nous sommes arrivés hors de portée de l'artillerie ennemie.

Un peu plus loin, des camions nous attendaient. On nous a embarqués sur les camions et nous nous sommes éloignés, je ne sais sur quelle distance. Nous sommes arrivés à un endroit ou la bataille continuait. Car il y avait des Allemands, là-bas, près de Zaghouan. À Zaghouan, il y a une grande montagne rocheuse. Et toujours ces obus, qui nous tombaient dessus avec une force extraordinaire. Enfin, le 9, la bataille était terminée. Les tirs s'étaient arrêtés.

Propos recueillis et traduits de l'italien par Renaud Bouret

Voir la suite de cette entrevue

2007-05-13

Tchaïkovski pathétique

Pathetism et Pathétisme - Dessin de Renaud Bouret - 2007

Le Centre national des Arts du Canada présente, le 26 avril 2007, la Symphonie Pathétique de Tchaïkovski. On dit que c'est Modeste Tchaïkovski, le frère du compositeur, qui aurait suggéré de nommer cette sixième symphonie la Pathétique. Le programme distribué à cette occasion base tout naturellement son analyse de l'œuvre sur le titre.

(...) Le terme pathétique, incidemment, est tiré du grec patheticos; sa signification diffère quelque peu du sens qu'on lui attribue généralement, c'est-à-dire qui sous-tend l'insuffisance, la pitié, une tentative lamentable. L'acception russe du mot patetichevsky fait plutôt référence à quelque chose de passionné, d'émotionnel et, comme dans la racine grecque, de souffrance.
(Extrait du programme distribué)

On peut se demander pourquoi l'auteur insiste tant pour expliquer, laborieusement, un mot dont le sens n'échappe à aucun francophone cultivé et féru de musique classique. Est-il d'ailleurs utile de faire référence au mot russe, alors que les frères Tchaïkovski ont manifestement choisi un titre français? Mais voilà justement ce qui pourrait vexer le peuple canadien anglais, peu francophile. Le texte cité plus haut est manifestement une traduction, et, qui plus est, une traduction absurde. L'original (ci-dessous), qui se garde bien de toute référence à la langue française, n'a de sens que pour un anglophone d'Amérique du Nord.

The word pathétique, incidentally, derives from the Greek patheticos and has a different flavor from most modern English contexts, where it usually implies inadequacy and pity, as in a "pathetic attempt". The Russian patetichevsky refers to something passionate, emotional, and, as in the original Greek, having overtones of suffering.
(Extrait du programme dans sa version originale)

2007-05-09

Les Français sont sexistes

L'année du coq (peinture de Kanô Shôei)

« Les Français sont sexistes ». C'est une phrase qui court, après les élections présidentielles françaises de 2007. Quelques personnes bien-pensantes l'ont forgée, les amuseurs publics l'ont relayée dans leurs émissions télévisées où se croisent vedettes et intellos, et une partie du public l'a répété. Cette phrase, qui se veut une condamnation de préjugés est en soi un préjugé, et une erreur méthodologique.

Si Ségolène avait obtenu 3% de votes supplémentaires, aurait-on encore affirmé que les Français sont sexistes? Dans ce cas, devrait-on dire que seulement 3% des Français sont sexistes? Et que penser des 47% de Français qui ont voté pour Ségolène? Sont-ils sexistes? Ne comptent-ils pas comme Français? Et ceux qui ont voté à droite, l'ont-ils fait par sexisme? Est-ce la première fois qu'un président de droite est élu en France?

L'affirmation « les Français sont sexistes » est un exemple typique de situation où on attribue à toute une population les caractéristiques de certains de ses éléments. Et pourquoi pas: les Chats sont paresseux, les Chiens sont violents, les Singes sont hypocrites, les Poissons puent?

Pour les bien-pensants, il y a des peuples éminemment critiquables (les Français en font partie) et des peuples absolument intouchables (chacun constituera sa propre liste). Chose un peu étonnante, ce sont souvent des Français qui critiquent les Français. Cela serait presque sympathique, si ça ne finissait pas par être agaçant.

2007-05-06

Des frontières coloniales non coloniales

Zanzibar - Dessin de Renaud Bouret - 1992

Un responsable suisse du Programme international global de l'évaluation de l'eau de l'ONU, nous entretient de ses missions à travers les « zones humides desséchées » et dans les « vallées inondées situées en bordure de forêts rasées » (Radio Canada, Euromag, 2007-03-25). Il décrit notamment le sort d'un vaste bassin situé à la frontière irano-afghane, autour duquel vit une nombreuse population. Pendant la saison des pluies, le bassin se remplit et favorise le développement de la végétation et de la faune. Quand l'eau se retire, les paysans peuvent se livrer aux travaux des champs. Mais voilà, depuis quelque temps, l'eau n'est pas au rendez-vous. Il y a sûrement un coupable, comme dans tout bon film d'Hollywood.

Cette peinture dramatique est somme toute inintéressante pour une émission strictement radiophonique, mais voilà qu'entre en scène l'Européen avec les tours vicieux qu'il s'est toujours ingénié à jouer aux innocentes populations du Tiers-Monde. L'éternel exploiteur et le bon sauvage ingénu, deux personnages bien campés. On quitte enfin le domaine de l'ennuyeuse écologie pour celui de la joyeuse métaphysique expiatoire. Savez-vous, nous informe l'expert, que « les puissances coloniales ont eu la fâcheuse idée, selon leur coutume, de faire passer la frontière en plein milieu de la zone concernée ». D'où les énormes problèmes diplomatiques que l'on peut imaginer. Heureusement, les bureaucrates internationaux issus de pays soi-disant vierges (comme la Suisse, le Danemark ou le Canada) se précipitent à la rescousse des indigènes, afin de démêler les querelles tribales héritées en droite ligne de ce passé colonial.

Le problème est que l'Iran et l'Afghanistan n'ont jamais été de véritables colonies européennes, du moins pas depuis Alexandre le Grand. Mais, selon la pensée victimiste en vogue, les enfants de l'âne qui a brouté un brin d'herbe peuvent être tenus responsables de la peste du siècle suivant.

2007-05-02

Des notes d'examen inflationnistes

Les trois timbres ci-contre, émis en l'espace d'un an, témoignent de l'hyperinflation qui a secoué l'Allemagne en 1923. Les deux premiers timbres nous rappellent qu'un million contient six zéros et un milliard en contient neuf, et que les Allemands de l'époque ne l'ignoraient pas. Le second timbre, qui valait 100 marks à l'origine, a dû recevoir une surcharge qui multipliait par dix millions sa valeur nominale. Avant la fin de l'année, une réforme monétaire draconienne donnait lieu à une nouvelle émission : le troisième timbre est libellé à 5 pfennigs, soit 0,05 mark.

Or, émue par les faibles taux de réussite dans le cours d'introduction à l'économie, la direction d'un Cégep que nous ne nommerons pas, décide d'envoyer des gestionnaires rencontrer les professeurs concernés. Un dialogue de sourds s'engage entre partisans de l'augmentation des compétences étudiantes et partisans de l'amélioration des bulletins. Mais un professeur raisonnable accepte enfin de faire une concession. Puisque le calcul du PIB par habitant est un véritable casse-tête pour les étudiants en difficulté (c'est-à-dire ceux qui intéressent la direction), il propose de supprimer ce calcul. Il est vrai que le PIB se mesure souvent en milliards et la population en millions, et que certains étudiants aboutissent, par exemple, à un PIB annuel par habitant de 46 dollars pour le Canada et de 175 millions de dollars pour l'Éthiopie. Même si le résultat n'aide pas vraiment ces étudiants à analyser la situation économique, il faut reconnaître qu'à quelques zéros près, ils avaient trouvé le bon chiffre.

Autre innovation audacieuse proposée dans le cadre de cette fructueuse réunion financée par les contribuables, celle des taux de croissance « approximatifs ». Chacun sait qu'une hausse de 10 % suivie d'une hausse de 20 % aboutit à une hausse cumulée de 32 % (de la même façon que 1,10 × 1,20 = 1,32). On peut en déduire qu'un taux d'intérêt de 32 % combiné à une inflation de 20 % ne rapporte en réalité que… 10 %. Mais voilà, ce genre de concept donne mal à la tête aux étudiants les plus ignorants, même s'il fascine les autres. Alors, pourquoi ne pas proposer, à tout le monde, une formule simplifiée : dorénavant, un taux d'intérêt de 32 % combiné à une inflation de 20 % rapportera 32 – 20 = 12 %. Le résultat est faux mais il est facile à calculer. Le professeur qui nous propose cette nouvelle méthode pédagogique assure que la Banque du Canada se sert de la même simplification. La représentante de la direction voit cette innovation d'un bon d'œil, « si cela peut aider les étudiants ». Voilà une façon habile d'aider les ballots.

Évidemment, il n'est pas question de permettre aux banques de se montrer si cavalières avec le rendement de nos propres fonds de retraites, ni au ministère de l'éducation de truquer ainsi nos soi-disant augmentations de salaire. La formule proposée n'est valable que dans le cadre scolaire! Après tout, l'école est là pour fabriquer des étudiants diplômés et non des travailleurs compétents.

On nous dit d'ailleurs que la formule exacte du taux de croissance a perdu de son intérêt, à une époque où l'inflation est redevenue faible. Mais voilà, nos étudiants ont une longue vie devant eux, au moins 45 ans avant la retraite, presque l'éternité. Et si le taux d'inflation se remettait à faire des siennes d'ici là, Achtung! La compétence acquise dans notre cours d'économie deviendrait une désastreuse… incompétence.

(Voir les précédents billets sur les poulets de trois livres qui en pèsent deux et l'approche par incompétence.)