2009-03-18

L'homme des vallées perdues

George Stevens : L'homme des vallées perdues

Il s’appelait Mike. C’était un Chinois diplômé de l’UCLA (Université de Chinatown à Los Angeles). Il était Chinois comme tous les passagers — sauf moi, l’accident. Mike était le guide de notre groupe dans cette virée à travers l’Ouest américain. Nous partagions la même chambre, le soir à l’étape, dans des hôtels appartenant toujours à des Chinois. Nous avions déjà traversé le Nevada, l’Utah, un coin d’Idaho, et nous entrions au Montana. Quand les passagers s’ennuyaient, sur les grandes routes du désert américain, Mike passait un film de Taiwan ou de Hongkong. Je n’arrivais guère à les distinguer, quoi qu’on m’eut juré qu’ils étaient tournés dans deux langues différentes.

Comme nous abordions les premiers contreforts d’une chaîne de montagnes couverte de forêts, Mike se redressa pour empoigner son micro et se planta face aux passagers, ses courtes jambes bien écartées, pour maintenir son équilibre. Nous arrivions manifestement à un restaurant, à un marché ou encore à un haut-lieu touristique. Car les guides américains ont ceci de particulier qu’ils nos informent toujours de ce qui est intéressant et de ce qui ne l’est pas. Après tout, les touristes sont là pour ne rien manquer sans se fatiguer à réfléchir, ça fait partie du prix. Après ses petits speeches en chinois, Mike rajoutait toujours quelques phrases en anglais, pour faire couleur locale : « Chers passagers, pour dire xuéshān (littéralement montagnes enneigées), les Américains utilisent un mot français. » Mike se tourna alors vers moi, et tout le groupe me lança un regard d’admiration — généreux Chinois! « C’est un mot un peu compliqué, c’est le mot gracier. Vous le connaissiez? Et nous voici dans le célèbre Grand Teton National Park. »

Apparurent alors trois montagnes rondes, aux formes caractéristiques. « Vous savez, Mike, à propos de noms français, votre Parc du Grand Teton a sûrement été baptisé par un trappeur canadien. » Notre guide refusa de croire à l’évidence, et il se garda bien de communiquer cette information aux autres passagers. Mais il n’y avait pas à s’y tromper, vu sous un certain angle, le grand téton apparaissait dans toute sa nudité.

Le film culte de George Stevens, L'Homme des vallées perdues (Shane), a justement été tourné dans cette région, immédiatement située au sud du parc Yellowstone. Or il se trouve que la rivière Yellowstone, d’où le parc tire son nom, s’appelait autrefois la rivière Roche jaune. Les cartes du début du XIXe siècle l’attestent. Et puisque nous y sommes, et malgré le scepticisme de notre guide diplômé de l’UCLA, qui n’a jamais entendu parler d’une présence française dans ce coin d’Amérique, comment expliquer que la capitale de l’Idaho tout proche se nomme Boise (prononcé Boïsé, à la française), et qu’une des grandes villes de l’État s’appelle Coeurdalene (Cœur d’Alène), sans compter le Lac Pend Oreille et les lieux-dits de Gros-Ventres et Nez-Percés éparpillés dans la région.

Contrairement aux Canadiens du centre et de l’ouest, qui ont pris soin de traduire ou d’effacer la plupart de leurs toponymes d’origine française, les Américains ont généralement tenu à conserver les traces de leur histoire. Mais aujourd’hui, qui se souvient encore de la signification de tous ces La Grande, Terre Haute et River Rouge?

Or, deux jours plus tard, notre guide Mike nous fit traverser la ville de Malad City, en Idaho. À coup sûr, un autre trappeur canadien français était passé par là (au début du XIXe siècle). Ses hommes y furent-ils victimes d'un empoisonnement alimentaire? C’est possible. Mais aujourd’hui, Malad City est fière de se proclamer « petite ville bien de chez nous où il fait bon vivre ». La chambre de commerce locale ajoute même : « Malad offre une vie confortable sans les maux de tête de la grande ville ». On ne pouvait trouver slogan plus convaincant.

1 commentaire:

Tietie007 a dit...

Le Shane lancé par Brandon de Wilde, courrant derrière Alan Ladd, résonne encore dans mon imaginaire ...