2019-01-28

Publicité et stéréotypes

Tous les dix ou vingt ans, les publicitaires sont accusés de propager des stéréotypes négatifs. Certaines « personnes militantes » réclament alors une intervention législative pour encadrer la publicité. D’autres exigent une publicité uniquement informative, et donc dépouillée de tout débordement social et politique, à moins, bien sûr, que ce débordement ne cadre avec leur propre idéologie. C’est oublier que la publicité moderne n’a pas, et n’a jamais eu, la vocation d’informer les consommateurs, mais de les convaincre. Elle table donc davantage sur le subconscient que sur le conscient. Elle parle moins du produit que de son utilisateur. Elle ne fait pas appel à la raison, mais aux émotions. C’est pourquoi elle est centrée sur les trois grandes passions de l’être humain : l’argent, la santé et le sexe. C’est ce que nous allons illustrer à l’aide d’une série de messages publicitaires datant des années 1980 (la période actuelle sera couverte dans un prochain billet).

Dans un billet précédent, nous avons analysé des coupons publicitaires bilingues faisant la réclame d’un café en poudre. Aujourd’hui, nous nous intéresserons plus particulièrement à deux des vices les plus indéracinables chez l’homo economicus, à savoir la cigarette (traitée ici) et l’alcool (traité plus loin).

Une cigarette, ça se fume de deux façons : en privé ou en public. La cigarette, après le chien, n’est-elle pas le meilleur ami de l’homme? Fidèle dans les moments de solitude, légère par sa fumée, calme, silencieuse, rougeoyante au fond de la nuit, comme le feu de nos lointains ancêtres. Dans les années 1980, la cigarette était encore un apanage masculin, un rite de passage obligé pour se joindre au troupeau des adultes. Elle constituait alors un signe ostentatoire, comme le plumage du coq dans la basse-cour. Il n’est pas étonnant de constater que les publicités faisant la promotion des cigarettes se partagent sur ces deux dimensions : le plaisir personnel et la séduction de la partenaire. N’oublions pas qu’une publicité a pour but d’accroître les ventes et non de réformer la société.

Fumer en santé

Les trois photos suivantes illustrent l’aspect individuel de la cigarette. L’homme, seul, se recueille en pleine nature, près d’un plan d’eau freudien, où l’air pur qu’il ne respire pas lui fait opportunément oublier les dangers de son poison favori. L’anatomie de la cigarette, autre symbole freudien, est systématiquement reprise dans le paysage, sous forme de tronc d’arbre, de poteau ou de canne à pêche.

La femme fait son apparition, virtuelle puis charnelle.

Il ne fait aucun doute que, de retour de sa baignade, l’homme qui a négligemment déposé ses lunettes de soleil sur la table de rotin offrira une cigarette à la jolie femme qui partage déjà un cocktail avec lui. Une cigarette légère, comme il se doit, car, dans la publicité, les mots recèlent, de préférence, un double sens. Il paraît même que les glaçons, au fond des verres, sont sciemment décorés de têtes de mort (Éros et Thanatos), mais nous n’irons pas jusque-là.

Il n’y a pas à dire, l’adepte de la cigarette Vantage est un lascar qui vise droit dans la cible. Personnage raffiné, bien entendu, mais pas trop vieux jeu. Ses boutons de manchettes et son briquet rappellent judicieusement les teintes précises du paquet de cigarettes. Il s’apprête à quitter son domicile pour rejoindre, avec une compagne dont il a galamment payé le billet, le Festival de danse moderne. Vantage, la cigarette de « l’intrigue »!

Cette fois, la dame est bien présente (il s’agit probablement de la supérieure hiérarchique du monsieur). Elle ne fume pas, mais son tailleur s’harmonise, comme prévu, avec le paquet de cigarettes. Deux personnes chics et intelligentes, qui partagent un moment privilégié au bureau, entre deux périodes de pointe (il se peut que les canons de la beauté aient changé depuis les années 1980). La lampe à loupe du bureau rappelle les cercles servant de logo à la marque, tandis que les jambes ouvertes du compas, au premier plan, peuvent susciter quelques arrière-pensées inconscientes aux esprits mal tournés. « La prochaine fois que je tiendrai mon paquet de Vantage dans la main, mon cerveau, illusionné par toutes ces associations, me gratifiera peut-être d’une petite dose de dopamine ».

Douceur, plaisir et satisfaction

Ici encore, l’air pur du ciel fait oublier l’air vicié des poumons. Le mât du bateau sert doublement de symbole. La voile rappelle la gamme de couleurs du paquet. La cigarette est non seulement associée à une activité bénéfique à la santé, mais elle constitue le prélude à « une douceur qui se goûte ».

Notre viril sportif moustachu, qui garde à son bord une glacière remplie de bière et deux avirons inutilisés, se fait remarquer, au moment même où il allume sa clope, par deux charmantes jeunes filles pétantes de santé. Celle de gauche se confond à s’y méprendre avec le paquet de Camel, qui se trouve posé au premier plan, sur une « pitoune » échouée. Gageons que notre rude navigateur aux cheveux bien peignés saura « tout goûter » et procéder à un fructueux échange de « satisfaction ».

Comme les précédentes, cette publicité date des années 1980, mais elle rappelle l’âge d’or des années 1950, sur la côte californienne. Malibu, lieu mythique où se retrouvent les gens hors du commun (c’est-à-dire les fumeurs de Pall Mall sans filtre). Cette fois, plus besoin de se gêner. Alors que les couples voisins sont déjà passés aux choses sérieuses, dans la noirceur, nos deux fumeurs viennent tout juste d’adopter la position horizontale. Ce qui explique la présence ostensible d’une paire de bottes dans le parebrise.

Annexe 1 : Sports d’élite et tabac

Annexe 2 : Plein air et fumée

Annexe 3 : Luxe et cigarettes

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