2009-07-27

Gentil coquelicot?

Vallée de la Loire - Juin 2009
Photos : Renaud Bouret

« Il est des lieux où il est si commun, que de loin les blés paroissent être recouverts d'un tapis écarlate ; l'éclat qu'ils réfléchissent, lorsque le soleil brille, ne peut se décrire.
Lorsque le coquelicot ne se montre qu'en petite quantité dans les champs, il n'est pas nuisible, parcequ'il est desséché avant la moisson, et que sa graine ne reste jamais dans le blé qui a été vanné et criblé ; mais lorsqu'il s'y trouve avec l'abondance citée plus haut, il s'oppose nécessairement à la croissance du blé et autres céréales. »
(Abbé François Rozier, Nouveau cours complet d'agriculture théorique et pratique, Déterville Éditeur, Paris, 1809)

Ce que les uns considèrent comme une mauvaise herbe peut devenir une plante exotique voire un objet poétique pour les autres.

À Carthage, on repliait les pétales du coquelicot vers le bas et on les liait à l'aide d'un morceau de tige, de façon à former la silhouette d'une danseuse en tutu rouge. Les coquelicots devenaient alors des demoiselles.

Les boutons du coquelicot servaient également à un jeu de société très prisé jusqu'à la malencontreuse invention du Game boy. Le jeu consistait à deviner la couleur des pétales enfermés dans le bouton floral. L'arbitre du jeu présentait un bouton de coquelicot à l'assistance et posait la question rituelle : « Coq, poulou, poulet? ». Lorsque les joueurs avaient indiqué leur choix, l'arbitre déchirait la gaine du bouton et les pétales se déployaient, comme par magie, tantôt rouges (coq), tantôt roses (poulou) et tantôt blancs (poulet).

On s'est posé beaucoup de questions sur la nature de la fameuse poulou, dont la sonorité s'accordait si bien avec la symbolique de sa couleur. De savantes recherches linguistiques nous ont permis de retracer l'étymologie de ce mot, résultat du glissement de l'accent tonique (phénomène courant dans certains syntagmes du français parlé à Carthage). L'expression originale, qui se perd dans la nuit des temps, était en réalité : « Coq, poule ou poulet? ».

Le coquelicot prospère dans les champs labourés, comme quoi ce protégé de l'homo poeticus ne serait pas grand chose sans le labeur de l'homo agricolus (comme on dit en latin de cuisine).

2009-07-21

Une tête bien pleine

Contrairement au préjugé inspiré de Montaigne et vidé de son sens premier, une tête bien pleine est souvent le fondement d'une tête bien faite. Au mieux, le bourrage de crâne est un atout majeur au développement de l'intelligence et de la curiosité intellectuelle, au pire il est inoffensif.

Somme que ie voye ung abysme de science : car doresnavant que tu deviens homme & te fais grand. (Rabelais dans Pantagruel, chapitre 8)

« Gallinacées, colombins, labourage, pâturage, Alea jacta est, Oceano nox, tchernoziom, pergélisol, Baudricourt, Vaucouleurs, calcite, gneiss, Gogol, Pouchkine, ubac, adret, Joachim du Bellay, Thalès de Milet, cigüe, coquecigrue, Baucis, Philémon, gaz rares, Gaspard, phonème, monème, Chimène, Monime, acte de contrition, acte de charité, les feuilles du gui sont toujours vertes, les fruits du gui ne sont pas comestibles… » La liste de toutes ces invitations scolaires au voyage et à la découverte est inépuisable.

Si le Rabelais scolaire nous a fait découvrir la région de Lerné et Ronsard la vallée du Loir, c'est notre passion précoce pour les timbres qui nous a conduit d'Azay-le-Rideau à Sully-sur-Loire, en passant par Amboise. Car la collection de timbres, c'est aussi un doux bourrage de crâne, qui grave dans les mémoires d'enfants des myriades d'images, de nuances de couleurs, de noms de lieux et de personnages, de mots et de lettres étranges. Une fois devenu grand, on peut alors parcourir le monde en se sentant toujours en terrain familier, tout en s'émerveillant de passer du rêve à la réalité.

Ces timbres, gravés en taille douce, n'utilisaient que deux ou trois couleurs, choisies avec art.

Le portrait est souvent plus réussi que le modèle. Même le côté exposé au nord peut y recevoir la lumière du soleil.

Si les images semblent plus belles que nature, ce qu'elles dépeignent la réalité telle qu'on la voit et non telle qu'on la photographie.

2009-07-14

La guerre de Picrochole

Lerné et ses environs - 25 juin 2009
Photos : Renaud Bouret

Bénis soient les professeurs du lycée, qui remplissaient nos têtes blondes de mots alors étranges et aujourd'hui familiers : Pathelin, Panurge, Cassandre, Liré, La Ponsonnière, la Roche-Clermault…

Un minuscule point sur la carte, à l'écart du monde et loin des glorieux châteaux et des nobles abbayes : Lerné. N'est-ce pas le célèbre pays des fouaciers, point de départ des guerres picrocholines? Faisons le détour.

Tout d'abord, les vignobles austères du Saumurois laissent la place à l'or des champs de blé. Qui sait si on ne mangera pas de la fouace aujourd'hui?

Le village de Lerné existe vraiment. Mais le fouacier fait la sieste et les rues sont désertes. En l'absence des habitants, l'ombre de Rabelais plane sur le pays.

En contrebas, les villages de Seuilly, patrie du frère Jean des Entommeures, et de la Roche-Clermault, avec ses vignobles et ses vergers, avec ses bergers et ses métayers se régalant de fouace aux pineaux et aux muscadeaux. Dire que sans Largarde et Michard, nous serions en train de photographier le manoir de Léonard de Vinci à Amboise ou de louer un pliant devant le château de Chambord, version électrique.