2007-11-28

Le paradoxe du pouvoir d'achat

Les Français affirment observer une baisse de leur pouvoir d’achat depuis un an. Près des deux tiers des Français dénotent une baisse de leur pouvoir d’achat au cours des douze derniers mois (65%), soit une hausse de 6 points depuis janvier 2007. Moins d’un Français sur cinq (18%) estiment que le pouvoir d’achat est resté stable, contre un quart de la population (24%) en janvier. La dégradation du pouvoir d’achat est ainsi ressentie par une proportion croissante de la population. Pourtant, 17% des Français, soit un nombre équivalent à celui enregistré au début de l’année, observent toujours une augmentation de leur pouvoir d’achat.
Source: Sondage Ifop - Dimanche Ouest-France - 25 novembre 2007
(Détails supplémentaires sur le site de l'Ifop.)

Avant de monter aux barricades, il est bon de savoir que les 17 % de Français qui estiment avoir obtenu une progression de leur pouvoir d'achat se répartissent inégalement selon le sexe, la profession ou l'âge. On y retrouve par exemple 21 % de femmes contre 14 % d'hommes; 28 % d'ouvriers contre 15 % de cadres; 25 % de gens âgés 25 à 34 ans contre 14 % dans le groupe des 50 à 64 ans. Faut-il alors stigmatiser les femmes, les prolétaires et les jeunes?

On peut également supposer qu'une proportion non négligeable de ces « privilégiés » n'est pas constituée d'exploiteurs, mais plutôt de travailleurs qui ont progressé dans l'échelle salariale grâce aux études, au perfectionnement, à l'ancienneté. Il n'y a rien de très surprenant à ce qu'un tel changement entraîne une hausse du salaire, et donc du pouvoir d'achat.

« Plus on est nombreux à se plaindre, plus on a des chances de se faire entendre. » (Jos Bleau)

Le principe habituel, qui veut qu'un problème généralisé ait plus de chances d'être pris au sérieux qu'un problème localisé, conduit ici à un paradoxe. Puisqu'il est question de mieux répartir la richesse produite dans le pays, plus la proportion de victimes est grande, moins il est possible de dédommager ces victimes. Il vaudrait mieux pour les Français qu'ils soient moins nombreux à se sentir lésés.

Il ne reste que deux véritables solutions au problème de la baisse du pouvoir d'achat des Français :
1. la croissance économique
2. la simplicité volontaire.

La première solution signifie que la meilleure façon d'accroître la part de chaque convive est de produire un plus gros gâteau. Mais voilà, la croissance de l'économie française est plutôt poussive depuis 2005, même si elle a connu des performances supérieures à celle de l'Allemagne et du Japon dans la dernière décennie. (NB. La tendance semble se continuer en 2007. Il faut aussi tenir compte de la croissance inégale de la population dans ces quatre pays. Pour plus de précisions, voir le site de l'OCDE.)

« Dis-moi combien tu dépenses, je te dirai combien tu pollues. » (Ramoucius)

La seconde solution est basée sur le fait que la hausse du pouvoir d'achat contribue à la dégradation de l'environnement. Dans cette optique, le recul du pouvoir d'achat des Français épargne quelques bouffées d'oxygène, dont la planète a bien besoin.

2007-11-25

Les canards souriants, au coucher du soleil

Rivière des Outaouais - 18 novembre 2007
Photos : Renaud Bouret

2007-11-21

Éducation et bureaucratie : Tocqueville l'avait prédit

Pendant que certains pays émergents entreprennent un rattrapage spectaculaire dans le domaine de l'éducation, notre société s'ingénie à implanter des réformes fantaisistes et à bureaucratiser l'art d'enseigner.

Tocqueville avait prévu cet effet pervers de la démocratie, qui conduit les citoyens à préférer l'égalité à la liberté, quitte à abandonner à l'administration publique un champ de responsabilités de plus en plus large. Noyés par une multitude de lois et de règlements censés les protéger de l'inégalité, les citoyens finissent par perdre toute initiative.

Jusque dans les années 1980, les Cégeps étaient encore épargnés par le rouleau compresseur du bureaucratisme, mais, désormais, celui-ci « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète » (Tocqueville - 1840).

Le système éducatif a en même temps changé de vocation : « Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; » (Tocqueville - 1840).

Au lieu de chercher à améliorer la qualité de l'éducation, on se préoccupe désormais de fignoler la qualité des règlements. Ainsi, des milliers d'heures de travail sont détournées vers la fabrication de politiques, qui seront révisées périodiquement par une pléthore de comités locaux, et que le ministère examinera et critiquera périodiquement. Plutôt que de discuter de recherche académique ou d'innovations pédagogiques, les enseignants seront contraints de débattre des virgules d'un règlement aussi vide de contenu qu'épais en volume. Jamais l'expression « un déluge de mots dans un désert d'idée » n'aura autant convenu que pour ce laïus indigeste nommé Politique institutionnelle d'évaluation des apprentissages.

Dans le cadre de troisième plan quinquennal promulgué depuis deux ans, les grands timoniers de l'éducation concoctent la Politique institutionnelle d'évaluation des apprentissages.
Dessin de Renaud Bouret

Si la Politique est jugée valable par les bureaucrates du ministère, on pourra fièrement affirmer, sur le porte-avion du conseil d'administration : « Mission accomplished! ». Dès lors, l'enseignement dispensé par le Cégep sera frappé du label d'excellence, même s'il n'a jamais été examiné de près. Cette moderne danse de la pluie aura évité à l'institution de faire face à ses responsabilités les plus dérangeantes : éliminer l'incompétence et la paresse, tout en encourageant l'effort et le savoir-faire, comme dans toute entreprise digne de ce nom.

2007-11-17

L'écureuil roux et l'aigle à tête blanche

Parc de la Gatineau - 2007-11-17
Photo: Renaud Bouret

La feuille de chêne restera sous vitre jusqu'au printemps. Mais qui se souciera de l'admirer?

Si les étangs sont déjà pris par la glace, les lacs continuent de s'agiter.

Si l'on en juge d'après la longueur des moustaches de l'écureuil roux, l'hiver sera clément.

Si l'écureuil était sage, il surveillerait plutôt le ciel d'automne.

2007-11-14

Fruits familiers, de Carthage à Saïgon

Dessin de Renaud Bouret
2006

Sur la carte de Saïgon, un cercle tracé en bleu entoure la place du Théâtre, au coin de la rue Catinat.
À qui appartenait la main qui tint ce crayon? Que reste-t-il de toutes ces vies?
Peuplade effacée par l'oubli, évanouie avant même de voir mourir ses derniers survivants.

Dans le jardin de Salammbô, des grenades éclatées, faute d'avoir été cueillies par de petites mains avides.
Un été qui ne veut pas se retirer. Un été si long que, au pays des Punica granatum, les années durent plusieurs années.
Où sont passées ces petites mains?

Plan du vieux Saïgon

2007-11-10

Premiers gels

Parc de la Gatineau - 2007-11-10 - Photo: Renaud Bouret

2007-11-07

Langage de bébé

La cérémonie du thé à Gatineau

Pourquoi les gens normaux se mettent-ils soudain à parler comme des débiles lorsqu'ils se retrouvent devant un bébé? « Areuh, areuh… Cha ch'est le beau bébé à tonton, il a fait un beau dodo? Gouzi gouzi…, etc. » (ajouter les onomatopées et les grimaces de rigueur). Les bien-pensants désapprouvent carrément ce genre de langage. Selon eux, depuis que le bébé est l'égal de l'homme — en gros depuis Mai 1968 — on doit parler communiquer avec lui dans la langue des adultes. Agir autrement serait faire preuve d'irrespect, sans compter les séquelles psychologiques possibles. Quelles séquelles? Les bien-pensants n'ont aucune idée précise sur le sujet, mais ils sont sûrs d'avoir raison. Bref, ils ont, comme toujours, beaucoup des certitudes sur des choses très imprécises. (Voir notre billet sur l'imparfait.)

Tout cela ne nous dit pas pourquoi tant de gens sont portés à utiliser spontanément ce langage de bébé? Je me suis moi-même posé la question pendant des années. Et c'est en parlant à un petit chat de mes amis, il y a moins d'une heure, que j'ai soudain découvert la clé du mystère. Une véritable révélation.

Dans les premiers temps, je ne parlais jamais à ce chat en présence d'une tierce personne, aussi n'avais-je pas vraiment conscience de la débilité de mes propos: « Minou, viens voir tonton… allez, saute le minou, pogne le doigt à tonton, ch'est une belle chouris cha… morzylœil… allez neko, regarde la belle sardine à son pépère. » Inutile de préciser que le fond de mes propos n'était guère plus recherché que sa forme.

Mais aujourd'hui, pour la première fois, j'ai parlé au chat devant témoin, dans mon patois habituel. Je n'ai pas eu le temps d'avoir honte car la vérité m'est alors apparue en pleine lumière. Si je gesticule, si je singe, si je mime, si je m'exprime de façon emphatique, bref si je suis contraint d'être si expressif, ce n'est pas par mépris envers la gent animale, c'est tout simplement parce que CE CHAT NE COMPREND PAS LE FRANÇAIS. Je suis comme l'acteur de théâtre, qui doit exagérer ses mimiques et forcer ses répliques afin d'être vu et entendu jusqu'au dernier rang des spectateurs. Les soi-disant gagas qui baragouinent des sottises à leur bébé ou à leur chat sont en réalité des Sarah Bernhardt en puissance, des émules de Talma, des Jean-Baptiste Poquelin en herbe, des futurs Raimu. Ils peuvent donc continuer à lancer des areuhs et des miaous sans complexe, car les voici réhabilités.

[Japonais]  
猫 ねこ neko : chat

[Chinois]  
猫 māo : chat

2007-11-04

Ici Radio Roku

Fini le bon vieux temps de la radio ondes courtes, des vieux Grundig avec leurs cadrans lumineux qui passaient du rose au jaune à la tombée de la nuit, des fils d'antenne suspendus au dessus de la corde à linge, des stations exotiques qu'on ne captait qu'une fois dans sa vie, en vertu des caprices de la stratosphère. Place à la radio internet! Mais qu'est-ce que la radio internet? Est-ce que ça fonctionne vraiment? Est-ce gratuit?

Un petit tour d'abord sur le site de Radio Roku (en anglais pour le moment). Très facile de découvrir différentes stations de radio selon le pays, la langue ou le genre, et de se créer des listes de favoris. Jusque là, rien de bien original, si ce n'est l'interface intelligente (à la japonaise?). Mais il y a mieux, on peut recevoir les mêmes stations sur un poste de radio portatif (ou presque, puisqu'il se branche sur le secteur et que les déménagements lui font parfois perdre la mémoire).

Une fois installé et configuré pour le réseau sans fil local, le poste de radio donne un accès presque immédiat à des centaines de stations à travers le monde : La Voix de la Chine (中国之声), Radio Mosaïque (Tunis), Radio Morava (musique traditionnelle yougoslave), France Culture, son alter ego Radio Cultura (Rio de Janeiro) et tout le bataclan. On peut même y faire jouer sa discothèque de fichiers mp3 provenant d'un ordinateur du réseau (avec un serveur comme iTunes, par exemple). On peut ainsi entendre tous ses disques préférés bien assis dans son fauteuil, la télécommande à la main.

Le hic, c'est de parvenir à faire fonctionner la bête. Tout d'abord, trouver la radio dans le magasin qui la distribue. Les vendeurs vous assureront que ça n'existe pas, mais la base de données locale de leur ordinateur affirme le contraire. Ils sont bien obligés de chercher.

Le son est pas mal, d'ailleurs.
(Nota : Si on examine le bois de chauffage, derrière la fenêtre, on peut en déduire que l'hiver est proche.)

Une fois branchée chez vous, la radio cherche votre réseau sans fil pour mettre à jour ses logiciels, qui datent probablement d'un ou deux ans, sinon trois. C'est là que la casse-tête commence. Car votre réseau est vraisemblablement protégé par un protocole de mot de passe inconnu du logiciel de la radio. La radio ne peut se mettre à jour parce qu'elle n'est pas connectée au réseau et le réseau refuse de reconnaître la radio parce qu'elle n'est pas à jour. On tourne en rond… Après tout, il suffit de débrancher temporairement le mot de passe du réseau et d'aller lire les paramètres du routeur de réseau sur votre ordinateur, si tant est qu'on sache ce que c'est, où ça se trouve, et sous quel nom d'usager. Finalement, c'est-à-dire après un temps plus ou moins long, le contact est établi. Pour passer de la version 2 à la version 3, le logiciel de la radio doit préalablement installer la version 2.5, mais bon, c'est automatique. Gare aux impatients.

C'est à ce moment que les choses se gâtent. Les autres appareils branchés au réseau sans fil n'apprécieront pas toujours l'arrivée de ce nouveau camarade. Il faudra leur allouer des adresses statiques à travers le serveur DHCP (mot d'origine inconnue). Chaque adresse statique du routeur, du genre 192.168.0.120, sera jumelée avec un code d'identification unique de l'appareil, du style 00-0D-4B-05-07-22. Ce code d'identification porte le nom ésotérique d'adresse MAC (à ne pas confondre avec Big ou Intosh). Après tout, l'opération ne manque pas de logique. Mais attention, certains appareils, dont cette radio, ne supportent pas les adresses statiques. Un détail qu'on découvre assez vite, surtout si on est ingénieur.

Plus compliqué que le vieux transistor avec ses deux boutons, n'est-ce pas? On se demande si ces machines sont faites pour des être humains. Mais une fois que ça marche, quel plaisir : toutes les grandes villes du monde viennent à nous, en direct de la vie.