2008-02-25

Rendez-vous sur la neige

Parc de la Gatineau - 24 février 2008
Photo: Renaud Bouret

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2008-02-23

Le regel du soir

Gatineau - 23 février 2008 - 17h08

Gatineau - 23 février 2008 - 17h15

Gatineau - 23 février 2008 - 17h16

2008-02-15

Faut-il se marier?

Vive la mariée!

Faut-il se marier, ou vaut-il mieux vivre une succession d'aventures, plus ou moins durables? À quoi bon abdiquer sa liberté si le divorce nous attend au bout de la route? Avant de se lancer dans l'entreprise, faut-il peser le pour et le contre, faut-il faire un choix utilitariste? Bref, est-il raisonnable, aujourd'hui, de se mettre la corde au cou, me demande un jeune collègue, ami de la sagesse.

Nul doute que si la grand-mère ou la tante étaient encore là pour filtrer habilement les prétendants indésirables, pour calculer les chances de réussite d'un couple à la place des amoureux aveugles, bien des mésalliances seraient évitées.

Mais est-ce vraiment un bon calcul que de faire le calcul? Si on avait à choisir entre 4 chances sur 5 de former un couple acceptable et 1 chance sur 5 de former un couple exceptionnel, quelle option faudrait-il préférer? Si le piéton avait à choisir entre 4 chances sur 5 de gagner un vélomoteur et 1 chance sur 5 de gagner une automobile, quel serait le choix le plus raisonnable?

L'analyse utilitariste néglige de tenir compte de l'attrait du risque. Ainsi, beaucoup de gens aimeront mieux jouer à la roulette (où l'espérance de gain est négative) qu'à la bourse (où la probabilité de bénéfices dépasse la probabilité de pertes). Les adeptes du casino préfèrent le maigre espoir de gagner le septième ciel à la certitude de chausser des pantoufles confortables. Ne devrait-il pas en être de même pour le mariage, du moins pour ceux qui privilégient le risque?

Trop bien choisir sa partenaire limite les chances d'échec, mais réduit également la probabilité de rencontrer le grand amour. Christophe Colomb aurait-il découvert son Amérique s'il avait bien pesé le pour et le contre avant de grimper sur la passerelle de la Santa Maria? La jeunesse n'a donc pas tort d'être un peu aveugle, pendant que ses aînés, plein d'expérience, se résignent souvent à vivre seuls, de peur d'être mal accompagnés.

J'en conclus, cher collègue, que vous n'êtes pas mûr pour le mariage. Car votre aversion pour l'ennui conjugal est très supérieure à votre soif de découvrir les joies inconnues de la vie de famille. Et si vous n'avez pas grand goût pour le risque, c'est peut-être parce que vous avez su vous faire gâter par la vie jusqu'ici.

2008-02-09

Bonjour et Bonne journée

Au comptoir du café, la caissière nous salue invariablement d'un bonjour. Et sitôt que nous avons payé, elle nous souhaite une bonne journée. L'inverse serait absurde pour n'importe quelle personne de langue maternelle française, quel que soit son niveau d'instruction. Du moins, il est impossible d'accueillir les clients avec l'expression bonne journée et de les congédier en leur souhaitant de passer un bon jour. Y a-t-il une loi simple qui expliquerait la nuance entre jour/journée, an/année, matin/matinée, soir/soirée, etc.? Existe-t-il une explication moins compliquée que les fastidieuses énumérations des grammaires? C'est probable puisque les étrangers y perdent leur latin, alors que les francophones ne s'y trompent jamais.

On prétend parfois que les mots journée, année, etc. impliquent une notion de durée, contrairement à jour, an, etc. Mais il s'agit d'un effet de sens, c'est-à-dire d'une conséquence et non d'une cause. Quand on dit que « le passage à l'heure d'été s'est fait sans heurt, cette année », où est la durée? Par contre, Edmond Dantès a dû trouver le temps long, lui qui fut enfermé au château d'If pendant quatorze ans.

Le mot journée fait plutôt référence à une chose sur laquelle les interlocuteurs sont déjà de connivence. Le principe est le même que pour l'expression elle part bien demain (voir notre billet sur ce sujet). Dans ce dernier cas, le locuteur et le récepteur s'attendaient déjà à ce qu'elle parte demain. L'information fournie ne porte donc pas sur le choix du jour du départ, car ce choix est déjà fait, mais sur la confirmation de la date prévue. De la même façon, bonne journée (comme bonne année) fait d'abord référence à la journée à laquelle nous pensons tous deux, avant même de souhaiter qu'elle soit bonne ou mauvaise.

  • Elle part demain (ça aurait pu être après-demain). / Elle part bien demain (elle aurait pu ne pas partir).
  • On se reverra un beau jour (n'importe quel jour, on n'a pas encore choisi lequel). / Je vous souhaite une bonne journée (celle que nous venons de commencer ensemble et que vous allez continuer de votre côté).
  • * On se reverra une belle journée (pas français). / * Je vous souhaite un bon jour (pas français).
  • Il m'a fallu deux ans (ça aurait pu être trois). / J'ai souffert pendant ces deux années-là (on sait déjà, du moins implicitement, de quelles années il s'agit et leur nombre est prédéterminé).

Le double exemple qui suit résume bien la règle permettant de choisir l'expression appropriée dans chacune des paires jour/journée, an/année, matin/matinée, soir/soirée :
[1] Je viendrai ce soir (j'ai d'abord pensé que je viendrai, puis j'ai fixé le moment : après avoir décidé de venir, il m'était encore possible de choisir quand je viendrais).
[2] Je viendrai en fin de soirée (j'ai d'abord réfléchi au moment, puis j'ai décidé qu'il conviendrait à ma venue : un fois le moment envisagé, il me restait encore à déterminer s'il ferait bien l'affaire).
Dans la phrase [1], l'ordre des mots est le même que celui de la pensée. Dans la phrase [2], la langue ne permet pas de faire coïncider les deux ordres. Le suffixe [ée] sert alors de signal pour indiquer la discordance entre l'ordre de la langue et celui du monde réel.

Kyō dō desu ka?
Comment s'est passée la journée?
Dessin de Rié Mochizuki

Le japonais permet une nuance similaire, quoique moins systématique (et pas tout à fait convaincante?) :
[1] Dō desu ka kyō? (Comment + être + [interrogation] + aujourd'hui)
[2] Kyō dō desu ka? (Aujourd'hui + comment + être + [interrogation])
[1] Comment ça s'est passé aujourd'hui? (et non hier, par exemple)
[2] Comment s'est passée la journée? (et non comment a-t-elle commencé, par exemple).

今日 kyō aujourd'hui

2008-02-02

Shanghai, ville du XXIe siècle

Comme le disait Laozi, plus le contenant s'améliore, plus le contenu fait pitié. L'avènement de la télévision haute définition n'échappe pas à la règle. Si les documentaires HD sont parfois soignés sur le plan de l'image, les commentaires qui les accompagnent sont généralement réglés sur le plus petit dénominateur commun du téléspectateur.

La plupart des documentaires traitant de la nature ressassent les poncifs de prêcheurs modernes, qui parcourent la terre dans de luxueux véhicules motorisés tout en fustigeant l'attitude néfaste de l'homme sur la terre. Cette nouvelle religion peut se définir comme le panthéisme primitif plus le pétrole.

Les documentaires à saveur géographique volent encore plus bas :
— Oh, regardez cette drôle d'inscription sur la porte de la citadelle? Est-ce que ça veut vraiment dire quelque chose? Demandons au professeur Mac Duchnok, de l'Université d'Édimbourg.
— Ça, Mademoiselle, c'est écrit dans une langue disparue, qui s'appelait le latin. Il est écrit « Nemo me impune lacessit ».
— Est-ce que ça peut se traduire dans notre langue d'aujourd'hui?
— Bien sûr, ça veut dire « Personne ne me provoque impunément ».
— Waoh!

Ronsard avait appris le latin en un an. Aujourd'hui la télévision nous apprend que le latin est un langue, et pour rafraîchir notre mémoire défaillante, elle nous le répètera deux ou trois fois par an, pendant toute notre vie.

Il existe trois sortes de peuples, dans ces documentaires géographiques. Les peuples modernes, comme nous, intéressants surtout pour leurs gadgets technologiques et leur gastronomie. Les peuples primitifs, dotés d'une sagesse à la fois innée et ancestrale, et généralement persécutés. Et enfin, les peuples totalitaires, qui ont si longtemps vécu sous le joug communiste qu'ils doivent nécessairement en garder des séquelles psychologiques (il faut dire qu'ils ont peut-être la dictature dans le sang). C'est cette troisième catégorie de peuple que nous étudierons aujourd'hui, à la lumière d'un documentaire commercialisé par PEGASUS Entertainment (sic) et projeté sur Equator HD (Canada).

« Neuf heures du matin, au centre-ville de Shanghai. Une armée s'est rassemblée [sur le trottoir]. Mais contrairement à ce qui se passait sous le régime précédent, celle-ci est une armée de travailleurs salariés, et non d'esclaves du travail. Tous les matins, devant leur restaurant de soupe aux nouilles, l'équipe de serveuses entame sa séance de culture physique quotidienne, se préparant à un service de 12 heures (mouvements de gymnastique en chœur…). Elles marchent au pas jusqu'à leur lieu de travail (Une! Deux! Une! Deux!…) On dit que la force de cette nation en pleine expansion repose sur la discipline des classes laborieuses, mais il y a plus… »

Ce spectacle, qui devrait nous rappeler la caserne ou le goulag, nous est présenté comme une manifestation de liberté. Et, devant la contradiction entre ce que nous voyons et ce que nous entendons, nous préférons faire confiance à nos oreilles qu'à nos yeux. Quant à l'évocation de la vie sous l'ancien régime, nul besoin d'image, la force du préjugé suffit à nous convaincre que, contrairement à aujourd'hui, le peuple était enrégimenté.

« Shanghai est aussi un gigantesque chantier de construction et de développement. Entre 1998 et 2002, 95 km2 de la ville ont été redéveloppés. Dans les 5 dernières années, 2000 gratte-ciels ont été bâtis. La demande est telle que les sites de construction bourdonnent d'activité, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. »

On reste bouche bée devant de telles performances.

Nulle mention du patrimoine détruit de la vieille ville, ni de l'expulsion des anciens habitants vers de lointaines banlieues, ni des bénéfices colossaux engrangés grâce à la rente foncière, dans un pays où la terre appartient officiellement au peuple. Shanghai est désormais un Far West, qui n'a ni passé ni propriétaire, et qui ne demande qu'à être conquis et confisqué par de grands pionniers. De toute façon, le téléspectateur, qui est habitué à mesurer les surfaces en nombre de terrains de football, ignore que 95 km2, ça fait environ 10 km sur 10, soit l'équivalent de la ville de Paris.

« Après plusieurs décennies d'économie communiste, Shanghai refait à nouveau surface. (Image d'un grand restaurant.) Tous n'ont pas atteint le haut de l'échelle, mais les gagnants de cette nouvelle politique économique sortent boire et manger dans des restaurants de classe. (…) C'est une révolution permanente. La lutte des classes est chose du passé. Et cependant, les gens continuent à se battre pour obtenir toujours plus d'argent et succès. La réussite financière est devenue la nouvelle idéologie des nouvelles générations. »

Cette fois, on nous montre une poignée de goinfres servie par une troupe de marmitons et de larbins. C'est ce qu'on appelle refaire surface. La scène n'a rien d'étonnant, puisque le prix d'un repas dépasse le salaire mensuel d'un employé. Comme le soulignait le grand-père Deng Xiaoping, certains s'enrichiront les premiers. Mais on voit mal comment ces restaurants, que l'on présente comme des symboles du développement économique, pourraient exister sans une « armée de réserve du capital ». Encore une fois, le discours contredit l'image : la lutte des classes est parfois un fantasme, une expression que tout syndicaliste doit prononcer deux ou trois fois par an, entre le fromage et le dessert, mais ici, elle crève les yeux du spectateur. Et pourtant, selon le commentateur, le peuple ne se bat plus pour faire tomber les privilégiés, il aspire à les rejoindre. Qui sait, dans quelques temps, avec un peu de bonne volonté, tout le monde sera au-dessus et personne en dessous! Il n'y aura plus de serviteurs, seulement des servis. Cette soi-disant révolution permanente pourra se conclure par une nuit du 4 août à l'envers : au lieu d'abolir les privilèges, on les étendra à tout le monde!