2016-06-26

Populisme

Les élites et leur cour s’offusquent des coups de gueule du peuple, qui prétend, lors de référendums, rejeter l’option unanimement défendue par la classe dirigeante et par son porte-voix, la grande presse. Bravant les menaces et les insultes, le peuple anglais plébiscite le Brexit (2016), le peuple grec refuse la punition allemande (2015), le peuple français rejette l’Europe néolibérale (2005). Ces évènements n’ont pourtant rien d’étonnant. Contrairement aux élections présidentielles et législatives, où, par delà leurs promesses rhétoriques, les candidats s’entendent pour appliquer, une fois élus, le même et unique programme économique, les référendums demeurent les dernières consultations populaires à proposer un véritable choix aux électeurs.

Bien sûr, les grands de ce monde peuvent faire fi des résultats exprimés par la volonté populaire, une fois, deux fois, trois fois. Ils conseilleront aux sans-dents, qui réclament du pain, de manger de la brioche. Ils expliqueront aux blaireaux français qu’ils ne possèdent pas l’expertise nécessaire pour juger d’un traité qui ne leur convient pas. Ils traiteront allègrement les Grecs de voleurs, de paresseux et de profiteurs (qualificatifs qui seraient respectivement sanctionnés par la loi s’ils visaient respectivement les Arabes, les Noirs ou les Juifs, mais qui sont tout à fait acceptables pour décrire nos frères du sud de l’Europe). Quant aux Britanniques qui ont osé voter contre ce qu’ils considèrent comme de l’eurocrétinisme, on fera lourdement remarquer qu’ils sont plus âgés et moins scolarisés que les électeurs de l’autre camp. On accusera ainsi les vieux Rosbifs d’avoir volé l’avenir de leurs enfants (qui vivent encore souvent aux crochets de leurs parents, crise économique oblige, et qui n’ont, pour la plupart, pas jugé utile de voter), et on rappellera à tous ces mauvais coucheurs leur manque de diplômes (chose pourtant assez répandue chez les ouvriers et les moujiks).

Cependant, c’est un fait historique, les peuples, généralement bonasses, se fâchent de temps en temps. Chassez la démocratie un peu trop souvent et elle revient au galop.

2016-05-27

Tromper les gens en leur disant la vérité

Comme le signalait Mark Twain (ou un de ses collègues), une personne qui ne lit pas le journal est une personne non informée, tandis qu’une personne qui lit le journal est une personne désinformée. Sacré farceur! Il plaisantait. Vous ne ferez jamais croire que le « journal de référence » Le Monde ou la prestigieuse Agence France Presse se permettraient de nous cacher la vérité, ou de la tordre!

Tenez, prenons cette dépêche de l’AFP, publiée le 28 avril 2016 par Courrier international (journal indépendant appartenant à un autre journal indépendant qui s’appelle justement Le Monde) :
« Le Parlement chinois a voté une loi imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères. »

Jusqu’ici, rien de plus normal, on nous relate des faits précis (qui, quoi, où, quand, etc.). Apparemment, c’est de l’information pure. Il est évident que les activités de toutes les organisations, gouvernementales ou non, sont encadrées par des lois, quel que soit le pays. Cependant, la phrase est déjà tendancieuse, car elle laisse d’emblée, chez le lecteur, une impression défavorable envers les autorités chinoises : d’un côté, nous avons les gentils (les ONG, véritables organismes de charité qui s’évertuent à répandre le bien sur la terre), et de l’autre, le méchant (le Parlement chinois qui, doublement autoritariste, « impose un contrôle »).

Après tout, c’est de bonne guerre. Mais, au cas où le lecteur ne serait pas assez naïf, ne vaudrait-il pas mieux lui mettre les points sur les « I »? Empruntons la plume du rédacteur de l’AFP et tâchons d’améliorer la formulation de la dépêche :
« Le Parlement chinois a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères. »
C’est déjà plus méchant, mais allons plus loin :
« Le Parlement chinois, aux ordres du Parti communiste, a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères. »
Comme nous le savons, nos parlements occidentaux sont au service du peuple (d’où l’inexistence de lobbies à Washington et à Bruxelles). Celui de la Chine, par contre, est aux ordres du Parti communiste, il était essentiel de le rappeler.

Réflexion faite, il vaudrait mieux rajouter encore du beurre sur la tartine :
« Le Parlement chinois, aux ordres du Parti communiste, a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, soulevant une vive inquiétude des intéressés et des observateurs. »

Qui sont ces mystérieux observateurs? Et quel est leur lien avec lesdits intéressés? Le second paragraphe qui viendra compléter la dépêche publiée par l’AFP, y fera indirectement allusion :
« L’initiative, pressentie de longue date, avait déjà provoqué une levée de boucliers d’organisations caritatives et de gouvernements étrangers. »
Les intéressés inquiets sont, bien évidemment, les organisations non gouvernementales, implicitement assimilées ici à des organisations caritatives. De leur côté, les observateurs semblent se confondre avec certains gouvernements étrangers (les États-Unis?), qui sont, paradoxalement, les principaux commanditaires des ces mêmes ONG.

Ce paradoxe n’est d’ailleurs un secret pour personne, car il suffit de visiter le site de la NED pour constater que bon nombre desdites ONG qui préoccupent tant le Parlement chinois sont financées par le Congrès des États-Unis, alors que d’autres reçoivent leurs fonds d’oligarques (« philanthropes ») américains tels que George Soros.

Pour reconnaître ces ONG hétérodoxes, qui font dans la politique plutôt que dans les œuvres caritatives, il suffit en général de vérifier que leur appellation sociale contient un mot clé tel que : ouverture, transparence, droits humains, démocratie, liberté, forum, agora.

Mais ce n’est pas fini. L’AFP a tenu à étoffer le second paragraphe de son communiqué en y ajoutant les mots suivants (en caractères gras) :
« L’initiative, pressentie de longue date, avait déjà provoqué une levée de boucliers d’organisations caritatives et de gouvernements étrangers s’inquiétant des pouvoirs accrus donnés à la police. »

Il n’y a en soi rien d’extraordinaire à ce que la police chinoise ait la responsabilité de faire respecter les lois promulguées par son parlement. Il en va de même dans tous les pays civilisés. Pourquoi, alors, ajouter cette vérité de la Palisse à la phrase, si ce n’est pour renforcer l’impression que la Chine est, contrairement à nos démocraties, un État policier. En langage de sophiste, cela s’appelle tromper les gens sans leur mentir. L’illustration qui accompagne la dépêche, montre effectivement un policier (un soldat? un concierge? un gardien de stationnement?) au visage de Janus.

Les deux premiers paragraphes de la dépêche de l’AFP, tels que publiés sur le site de Courrier international, se lisent donc comme suit :
« Le Parlement chinois, aux ordres du Parti communiste, a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, soulevant une vive inquiétude des intéressés et des observateurs. »
« L’initiative, pressentie de longue date, avait déjà provoqué une levée de boucliers d’organisations caritatives et de gouvernements étrangers s’inquiétant des pouvoirs accrus donnés à la police. »


À priori, nous comprenons que les gouvernements cherchent à enjoliver, voire à dénaturer la réalité. Ne s’agit-il pas d’un des fondements de la politique? Nous accueillons donc toujours les communiqués de l’Agence Chine nouvelle, de Radio Spoutnik ou de l’Élysée avec le minimum d’esprit critique. Cependant, notre esprit critique doit également s’exercer à l’égard de toute source d’information réputée indépendante. Comme on a pu le constater, la dépêche de l’AFP citée ici ne se contente pas de transmettre une information objective, mais elle essaie surtout de communiquer un message subjectif au lecteur, que ce soit par des allusions, des associations d’idées, des formulations ambigües ou des silences éloquents, tous facilement repérables par un œil averti, et ce, sans jamais proférer de mensonges directs.