2016-05-27

Tromper les gens en leur disant la vérité

Comme le signalait Mark Twain (ou un de ses collègues), une personne qui ne lit pas le journal est une personne non informée, tandis qu’une personne qui lit le journal est une personne désinformée. Sacré farceur! Il plaisantait. Vous ne ferez jamais croire que le « journal de référence » Le Monde ou la prestigieuse Agence France Presse se permettraient de nous cacher la vérité, ou de la tordre!

Tenez, prenons cette dépêche de l’AFP, publiée le 28 avril 2016 par Courrier international (journal indépendant appartenant à un autre journal indépendant qui s’appelle justement Le Monde) :
« Le Parlement chinois a voté une loi imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères. »

Jusqu’ici, rien de plus normal, on nous relate des faits précis (qui, quoi, où, quand, etc.). Apparemment, c’est de l’information pure. Il est évident que les activités de toutes les organisations, gouvernementales ou non, sont encadrées par des lois, quel que soit le pays. Cependant, la phrase est déjà tendancieuse, car elle laisse d’emblée, chez le lecteur, une impression défavorable envers les autorités chinoises : d’un côté, nous avons les gentils (les ONG, véritables organismes de charité qui s’évertuent à répandre le bien sur la terre), et de l’autre, le méchant (le Parlement chinois qui, doublement autoritariste, « impose un contrôle »).

Après tout, c’est de bonne guerre. Mais, au cas où le lecteur ne serait pas assez naïf, ne vaudrait-il pas mieux lui mettre les points sur les « I »? Empruntons la plume du rédacteur de l’AFP et tâchons d’améliorer la formulation de la dépêche :
« Le Parlement chinois a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères. »
C’est déjà plus méchant, mais allons plus loin :
« Le Parlement chinois, aux ordres du Parti communiste, a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères. »
Comme nous le savons, nos parlements occidentaux sont au service du peuple (d’où l’inexistence de lobbies à Washington et à Bruxelles). Celui de la Chine, par contre, est aux ordres du Parti communiste, il était essentiel de le rappeler.

Réflexion faite, il vaudrait mieux rajouter encore du beurre sur la tartine :
« Le Parlement chinois, aux ordres du Parti communiste, a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, soulevant une vive inquiétude des intéressés et des observateurs. »

Qui sont ces mystérieux observateurs? Et quel est leur lien avec lesdits intéressés? Le second paragraphe qui viendra compléter la dépêche publiée par l’AFP, y fera indirectement allusion :
« L’initiative, pressentie de longue date, avait déjà provoqué une levée de boucliers d’organisations caritatives et de gouvernements étrangers. »
Les intéressés inquiets sont, bien évidemment, les organisations non gouvernementales, implicitement assimilées ici à des organisations caritatives. De leur côté, les observateurs semblent se confondre avec certains gouvernements étrangers (les États-Unis?), qui sont, paradoxalement, les principaux commanditaires des ces mêmes ONG.

Ce paradoxe n’est d’ailleurs un secret pour personne, car il suffit de visiter le site de la NED pour constater que bon nombre desdites ONG qui préoccupent tant le Parlement chinois sont financées par le Congrès des États-Unis, alors que d’autres reçoivent leurs fonds d’oligarques (« philanthropes ») américains tels que George Soros.

Pour reconnaître ces ONG hétérodoxes, qui font dans la politique plutôt que dans les œuvres caritatives, il suffit en général de vérifier que leur appellation sociale contient un mot clé tel que : ouverture, transparence, droits humains, démocratie, liberté, forum, agora.

Mais ce n’est pas fini. L’AFP a tenu à étoffer le second paragraphe de son communiqué en y ajoutant les mots suivants (en caractères gras) :
« L’initiative, pressentie de longue date, avait déjà provoqué une levée de boucliers d’organisations caritatives et de gouvernements étrangers s’inquiétant des pouvoirs accrus donnés à la police. »

Il n’y a en soi rien d’extraordinaire à ce que la police chinoise ait la responsabilité de faire respecter les lois promulguées par son parlement. Il en va de même dans tous les pays civilisés. Pourquoi, alors, ajouter cette vérité de la Palisse à la phrase, si ce n’est pour renforcer l’impression que la Chine est, contrairement à nos démocraties, un État policier. En langage de sophiste, cela s’appelle tromper les gens sans leur mentir. L’illustration qui accompagne la dépêche, montre effectivement un policier (un soldat? un concierge? un gardien de stationnement?) au visage de Janus.

Les deux premiers paragraphes de la dépêche de l’AFP, tels que publiés sur le site de Courrier international, se lisent donc comme suit :
« Le Parlement chinois, aux ordres du Parti communiste, a voté une loi très controversée imposant un contrôle aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères, soulevant une vive inquiétude des intéressés et des observateurs. »
« L’initiative, pressentie de longue date, avait déjà provoqué une levée de boucliers d’organisations caritatives et de gouvernements étrangers s’inquiétant des pouvoirs accrus donnés à la police. »


À priori, nous comprenons que les gouvernements cherchent à enjoliver, voire à dénaturer la réalité. Ne s’agit-il pas d’un des fondements de la politique? Nous accueillons donc toujours les communiqués de l’Agence Chine nouvelle, de Radio Spoutnik ou de l’Élysée avec le minimum d’esprit critique. Cependant, notre esprit critique doit également s’exercer à l’égard de toute source d’information réputée indépendante. Comme on a pu le constater, la dépêche de l’AFP citée ici ne se contente pas de transmettre une information objective, mais elle essaie surtout de communiquer un message subjectif au lecteur, que ce soit par des allusions, des associations d’idées, des formulations ambigües ou des silences éloquents, tous facilement repérables par un œil averti, et ce, sans jamais proférer de mensonges directs.

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