2008-05-28

De Tiuccia à Oelwein

Arrivée à Waterloo (Iowa), le 21 août 1969

À dix-sept ans, c'est drôle à dire, j'étais passionné par la politique internationale. Certes, je possédais quelques centres d'intérêt plus normaux, comme les filles, la plage et le piano, mais aucun ne valait la lecture du journal Le Monde, l'écoute des nouvelles sur les stations de radio étrangères, et les discussions animées avec les personnes rencontrées au hasard des circonstances. Ma vie fut d'ailleurs une succession de passions qu'il m'est aujourd'hui difficile d'expliquer, mais qui m'ont heureusement conduit à découvrir le vaste monde et à côtoyer Ulysse, Germanicus et Bernal Diaz.

Quand je me suis retrouvé en Iowa, on comprendra que je ne correspondais ni au rôle que doit y jouer tout adolescent, ni à l'image qu'on se fait d'un Frenchie. Je détestais les sports d'équipe, que ce soit le football des vedettes ou le basket des potaches ordinaires. J'adorais la bibliothécaire — une femme élégante, sympathique et divorcée, et mère de la plus jolie fille de ma classe. Je préférais composer des chansons — toutes d'une banalité navrante — plutôt que d'en écouter. Je faisais preuve d'une timidité et d'un manque d'expérience déplorable avec les filles. Pourtant, toutes les beautés du village se disputaient un rendez-vous avec moi, en se fiant uniquement à mon accent français. Le succès ne tient parfois qu'à des mots : french fries pour les gourmands, french kiss pour les gourmandes. Ah, si je pouvais revivre aujourd'hui tous ces rendez-vous du vendredi soir, dans un coin sombre du parc Fontana ou sur l'immense banquette arrière d'une Buick! Toujours le même refrain : Si jeunesse savait!

Je croyais alors que la valeur d'un jeune homme se mesure à la qualité de son argumentation et à l'épaisseur de ses connaissances. Fatale erreur, funeste malentendu que je n'eus pas l'intelligence d'éclaircir. En Iowa, à cette époque, un garçon se devait d'être « populaire », sa façon de vivre n'étant que le moyen de parvenir à ce but suprême. Sachant que l'Iowa était alors un des États les plus rétrogrades du pays, et que le mode de vie américain finit toujours par contaminer le reste du monde, on peut donc mathématiquement considérer que l'idéal Iowain d'autrefois correspond à l'idéal européen d'aujourd'hui.

L'Iowa figurait au quarante-neuvième rang dans la liste de mes États américains favoris. Quand nous guettions les étoiles filantes, allongés à minuit sur la plage de Tiuccia, à l'ouest de la Corse, je faisais le vœu d'atterrir en Californie, en Louisiane ou en Floride, voire en Alaska. Si possible au bord de la mer, et une mer chaude de préférence. Sinon, quelque part sur une verte montagne. J'avais donc classé l'Iowa à l'avant-dernier rang de mon palmarès, après avoir constaté que le Montana était l'hôte de la ville la plus froide des États-Unis, dont le nom français de Butte évoquait quelque colline dénudée et balayée par la bise. Toujours le pouvoir trompeur des mots. Lorsque j'entrepris le long périple qui me conduisit de Tiuccia à mon nouveau séjour d'Amérique, j'ignorais encore tout de ma destination finale. Ce fut seulement au terme d'une troisième nuit du voyage que l'arrêt fatidique fut rendu : vous vous envolerez pour une ville d'Iowa nommée Waterloo, d'où vous rejoindrez le bourg d'Oelwein. J'attendais Grouchy, on m'envoyait Blücher.

Tout un périple, en effet. Une nuit en mer, sur le Fred-Scamaroni qui reliait Ajaccio à Marseille, une deuxième nuit à bord du train kaki qui me conduisit à Paris, une troisième nuit dans l'avion qui nous mena d'abord à Detroit puis sur les banquettes de l'aéroport de Chicago. À partir de là, il fallut emprunter une ligne aérienne inconnue du reste du monde, la Ozark Airlines, aujourd'hui disparue. Et ce n'est pas tout, il m'avait d'abord fallu rejoindre Ajaccio en auto-stop, à bord d'une camionnette remplie de charcuterie corse. Quand je trouve ma vie trop morne, je me console parfois en pensant que je fus probablement le seul voyageur de l'histoire à quitter le village Corse de Tiuccia pour aboutir à Oelwein, en Iowa. J'avais alors dix-sept ans.

La voici donc, cette ville de Waterloo, perdue au milieu des mornes plaines du Midwest, qui défilent à travers mon hublot triangulaire de la Ozark Airlines. Mais dans le malheur, on trouve toujours une consolation. Parmi les immenses champs de maïs déjà mûris, j'aperçois quelques tâches sombres, quelques forêts aux sous-bois mystérieux. Pour un Méditerranéen comme moi, tout îlot de verdure, tout ruisseau qui chante au cœur de l'été, représente l'antichambre du paradis. L'Iowa n'est donc pas l'enfer absolu tant redouté.

2008-05-25

Les orchidées regardent

Parc de la Gatineau - 25 mai 2008
Photos : Renaud Bouret

Les orchidées regardent passer les cyclistes.
Les cyclistes regardent leur compteur électronique.

Les arbres regardent le ciel.
Les lacs regardent les arbres.

Hephaïstos aime Aphrodite.
Aphrodite aime Arès.

Le peuple aime Mao.
Mao aime les infirmières.

2008-05-21

Qui connaît l'Iowa?

Oelwein Sacred Heart High School 1969 Oelwein (Iowa)
Sacred Heart High School Library, in 1969
De gauche à droite : Augusto Exconde, Tetsushi Noguchi (Spider), Rodolfo de Vecchi, Renaud Bouret, Henk Van Hoeckel
Paru dans le Oelwein Sacred Heart Register

Qui connaît l'Iowa? Pas vous certainement. Mais, de mon côté, je ne cesse de rencontrer des gens qui ont séjourné à Des Moines, Belle Plaine, Dubuque ou Sioux City. L'Iowa, fier pays de l'Œil de faucon, sous la bannière bleu-blanc-rouge. L'Iowa, patrie de John Wayne, Buffalo Bill et Bix Beiderbecke. L'Iowa où je vécus il y a si longtemps que j'ai parfois l'impression qu'il s'agissait d'un autre que moi.

Hier soir, lors d'un vernissage, voilà-t-y pas que mon interlocutrice affirme avoir passé trois ans dans la capitale de l'Iowa, cet État que j'avais un jour classé au quarante-neuvième rang de mon palmarès, juste devant le glacial Montana. C'en était trop. Il a fallu que je déterre mon journal intime de l'époque pour me replonger dans cette vie antérieure. Je commence donc dès à présent à publier quelques documents, aujourd'hui introuvables, de ces années 1969 et 1970. Je compte ainsi que mes anciens amis retrouvent enfin ma trace (ce qu'on croyait oublié ou perdu est désormais à la portée du monde entier). Et surtout, je veux résoudre le mystère de la disparition de Spider, que ses affreux frères adoptifs avaient surnommé le Jap. Où est passé mon ami, ce guitariste folk, ce gymnaste de talent qui fut mon voisin de banc pendant quelques semaines, à l'École du Sacré-Cœur d'Oelwein?

2008-05-18

Canard huppé

Rivière des Outaouais - 18 mai 2008
Photos : Renaud Bouret

Le canard huppé est un proche cousin du canard mandarin.

Repas en famille

Pendant ce temps, un rat musqué cueille le mur de sa chambre.

2008-05-16

Cité interdite

Dessin de Renaud Bouret - 1968

La première fois que je fus parachuté sur la grande place Tian'anmen, au milieu de la brume matinale, j'éprouvai une étrange impression de déjà-vu, comme si les lieux faisaient depuis toujours partie de moi-même. Était-ce une réminiscence de mes interminables lectures nocturnes du récit des émeutes de 1976? (Ces évènements avaient suivi la mort de Zhou Enlai, premier ministre chinois aimé de son peuple et connu des Tunisiens de mon âge.) Ou était-ce la notoriété de la Porte de la paix céleste et de la Cité longtemps interdite qu'elle délimitait?

Dix après cette première visite, c'est-à-dire aujourd'hui même, je comprends enfin la raison de cette forte émotion. En fouillant dans mes vieilles paperasses, j'ai retrouvé le croquis de la Place, que j'avais tracé dans un de mes cahiers d'écoliers. Or, quand on s'applique à dessiner un paysage, opération qui peut s'avérer très longue, on finit par l'habiter. En posant le pied sur la place Tian'anmen, je ranimais un de ces intenses souvenirs d'adolescent qui ne demandent qu'à marquer notre vie.

Dans le même cahier, le croquis d'une autre porte, donnant sur un autre palais moins connu mais construit au bord d'une des plus belles baies du monde, sur les ruines d'une ville encore plus ancienne que la Cité interdite.

2008-05-13

Au bord du ruisseau

Parc de la Gatineau - 13 mai 2008
Photo: Renaud Bouret

2008-05-10

Un oiseau peut en cacher un autre

Ottawa - 8 mai 2008
Photos : Renaud Bouret

Une drôle de branche surveille la rivière.

Un oiseau peut en cacher un autre.

Le héron est vexé.

2008-05-06

Angkor en 1922

Angkor en 1922
Photos de Marcel Auguste Fermé

Pendant qu'il bâtissait le Palace de Bokor, Marcel Auguste Fermé, notre grand-père, fit une petite escapade à Angkor Vat. Comme toujours, il emportait son appareil photo. Voici quelques témoignages de sa visite.

Ces photos, qui figurent parmi les rares rescapés de sa collection, ont traîné au fond des malles, de la mer de Chine à la Méditerranée, en passant par la mer Rouge, et de l'Asie à l'Amérique, après avoir fait escale en Afrique et en Europe, au gré des vicissitudes familiales.

Où se situe Marcel Auguste Fermé dans l'arbre généalogique?

2008-05-02

Les tussilages

Parc de la Gatineau - 2 mai 2008
Photos : Renaud Bouret

Sur le vieux barrage de castors, les tussilages s'empressent de fleurir avant la pousse des feuilles.

On le croyait seul, mais sa dulcinée n'est pas loin.

Il fait le guet, pendant qu'elle explore les bas-fonds.

2008-05-01

Premier mai sur la rivière

Rivière des Outaouais - 1 mai 2008
Photo: Renaud Bouret

Il n'a qu'une patte.

Il se débarbouille.

Il devient bleu.