2008-09-27

Le visage des Québécoises

Dessin : Renaud Bouret - 20 septembre 2008

Dans un billet précédent, nous expliquions que les Québécois ont peut-être un air de famille, du moins pour ceux qui ne leur sont pas familiers. Voici aujourd'hui trois Québécoises parfaitement anonymes des années 1970. Pourtant, plus on les regarde, plus on est persuadé de les connaître.

Autres visages : précédent et suivant.

2008-09-20

Le visage des Québécois

Les Québécois des années 1970
Dessin : Renaud Bouret - 20 septembre 2008

Un jour que je me promenais dans les jardins des sœurs de Sion, à Tunis, un prêtre qui passait par là s'arrêta devant moi : « Toi, tu es le fils de Monsieur Untel, c'est indiscutable ». Ainsi, un pur inconnu pouvait découvrir mon identité, et dans un lieu que je visitais pour la première fois par dessus le marché. Cet homme m'était étranger et je lui étais familier. Révélation inattendue, et un peu décevante, pour un jeune garçon.

Une douzaine d'années plus tard, je me présentais au consulat du Canada à Marseille. Ce printemps-là, nous avions passé des nuits blanches, avec mon cousin, à observer les bombyx de ver à soie sortir de leurs cocons. Pour tuer le temps, nous faisions quelques parties de tarot, puis nous écoutions le film qui passait alors à la télévision peu avant l'aube. C'était le mois du film québécois, et mon cousin avait fini par remarquer que les acteurs avaient un accent particulier, qu'il imitait avec talent. Un soir, on passa « Les Mâles », de Gilles Carle, et l'histoire, le décor, l'atmosphère, les personnages nous fascinèrent à un point tel que nos parties de cartes furent désormais ponctuées de répliques de ce film culte. Ces Québécois avaient un accent, certes, mais ils possédaient surtout une allure particulière, une démarche assurée, un certain chic, et surtout des visages immédiatement reconnaissables.

En pénétrant dans les locaux du consulat du Canada à Marseille, je ne croisai d'abord que des visages anonymes, probablement de simples Phocéens, puis on m'introduit dans le bureau d'un dénommé Bibeau… À coup sûr un Québécois, comme dans les films. Je trouvais un peu étrange que le nom d'un individu soit gravé sur une plaque de porte, plutôt que la mention Réception, Direction ou Réfectoire. Dans le bureau se trouvait un Monsieur en costume coloré, qui se mit d'emblée à me tutoyer, sans même se lever de son fauteuil. Une vraie tête de Québécois, comme dans nos films préférés, je l'aurais reconnus entre mille, en plein milieu de la Canebière.

Monsieur Bibeau m'accompagna ensuite dans les couloirs du Consulat, et je n'eus aucun mal à reconnaître tous les Québécois que je croisais. Ils avaient, sans exception, un air de famille qui ne trompe pas.

Ce n'est qu'après quelques semaines passées au Québec que je dus me rendre à l'évidence : les Québécois ne se ressemblent pas tous. Mais, après tout, et à force de regarder ces petits croquis, n'est-il pas vrai qu'ils ont un je ne sais quoi de distinct, qui mérite d'être reconnu?

Prochain épisode : Le visage des Québécoises

2008-09-17

Chantons en chœur

Une petite station de villégiature à la mode, au bord de la rivière Lí. Chaque boutique y va de sa musique, locale et mondialisée : Astrud Gilberto, Mòlìhuā (Le jasmin) et Vivaldi. L'équivalent de la musique de supermarché pour routards de tendance « centre-gauche ». Dans la rue, des vendeurs de flûtes, qui ne sont ni artisans ni musiciens, répètent tous, à longueur de journée, les deux mêmes airs : La marche des pionniers et… Red river Valley. Qu'est-ce que la musique aujourd'hui? La musique est un bruit à la fois confus et familier. Un bruit qui sert à masquer l'ennui et à neutraliser l'esprit. La musique est un bruit de fond. Un bruit de fond mondialisé. Un bruit de fond qui couvre tout le spectre politique, de la gauche (le rap) à la droite (le disco), sans oublier nos touristes semi-écolo et nos pousse-caddy.

Ce restaurant se nomme Le Vôtre. Une petite touche d'humour dans cette ville agréable et insipide. Il occupe les locaux de l'ancien théâtre municipal ou du yámen préfectoral. On imagine bien les plaignants de jadis, venus se prosterner aux pieds des marches pour réclamer réparation, et s'en retourner parfois avec quelques dizaines de coups de bâtons.

La semaine dernière, toute la rue a été immergée sous un mètre d'eau. Seul le yámen a échappé à l'inondation historique, de celles qu'on ne voit qu'une ou deux fois par siècle. Mais un siècle, c'est bien court pour quelqu'un qui voit loin. Aussi, les riverains de la rivière Lí, du moins les personnes éclairées et fortunées, avaient l'habitude de ne construire que sur les hauteurs. Mais dans notre univers mondialisé, et rempli d'une musique de fond, le temps présent est notre seul horizon. Comme les pauvres bougres d'antan, les riches investisseurs bâtissent dans la plaine. Et la rivière Lí a beau jeu de se moquer d'eux, à chaque déluge.

La nuit tombe sur la terrasse du yámen. Une demi-douzaine d'amis viennent d'achever leur repas. Quelques chaises s'entrechoquent. Le bruit de fond s'estompe au loin, dans les ruelles. L'un des convives enfile les bretelles de son accordéon et, soudain, une riche harmonie s'élève, entre les murs de pierre. Les premiers accords d'un air datant d'avant la mondialisation : Tóngyī shǒu gē (Chantons en chœur). Un guitariste se joint subtilement au concert, et bientôt, il entonne les premières phrases de cette chanson mélancolique.
Un songe parfumé ne peut jamais mentir
Car voici enfin venu le jour des retrouvailles.
Et toute la compagnie de reprendre le refrain en harmonie. Le cœur de l'homme, gavé de bruits de fond, ne peut s'empêcher de tressaillir au son de la musique, dont il avait oublié jusqu'à l'existence.

C'est une chanson dont les paroles peuvent sembler banales, lorsqu'elles sont lues, toutes nues. Mais lorsqu'on les chante, en chœur, avec les amis retrouvés, l'espace d'une fraction de vie, ces paroles prennent tout leur sens et nous relient à nos souvenirs chéris et à nos espoirs charmants. La musique, c'est un instant de joie qui s'inscrit dans la durée. Rien à voir avec le bruit de fond mondialisé.

Les Chinois ont une curieuse façon de noter la musique. Le procédé est pourtant simple. Les notes sont numérotées selon leur position dans la gamme, ce qui permet de transposer les partitions instantanément. Ici, puisque la chanson est chantée en Fa, la première note de la mélodie (5) correspond à Do, qui est la quinte de la gamme de Fa. La seconde note (1) représente la tonique de la gamme, soit Fa. Quelques symboles complémentaires pour changer d'octave et pour marquer la durée des notes, et le tour est joué. Nous donnons ci-dessous la transcription des huit premières mesures de la chanson (en Fa) ainsi que la grille d'accords de guitare (en Ré). Cette chanson, très connue en Chine, gagne bien sûr à être écoutée, puis à être chantée en chœur et en harmonie, avec des amis chers. On la trouvera facilement sur Internet sous le titre 同一首歌 (cf ce lien temporaire ou celui-ci) . Quand ils prennent la peine de se mettre à chanter, les peuples se ressemblent étrangement.

水千条山万座我们曾走过
每一次相逢和笑脸都彼此铭刻
在阳光灿烂欢乐的日子里
我们手拉手啊想说的太多。

Ces fleurs coupées m’ont raconté comment tu es parti
Car la terre connaît tous les coins secrets de ton cœur.
Un songe parfumé ne peut jamais mentir
Et voici enfin venu le jour des retrouvailles.

Ensemble nous avons franchi cent rivières et mille montagnes
Toutes nos rencontres, tous ces sourires échangés restent gravés en nous
Ces jours heureux inondés de clarté
On ne se lasse plus de les évoquer, main dans la main.

Pendant que les orages s’abattaient sur le monde
Un ciel rempli d’étoiles éclairait notre enfance
Animés par les mêmes sentiments, nous brûlions des mêmes désirs
Nos joies communes nous ont inspiré ce même chant.

Paroles : 陈哲
Musique : 孟卫东
Traduction : Renaud Bouret

La nuit est tombée sur la petite station de villégiature à la mode. Les berges de la rivière Lí sont calmes et désertes, car les touristes ne s'éloignent jamais de leurs quartiers remplis de bruits de fond. Dans le silence, et pendant que la lune se lève derrière les sommets, sur l'autre rive, on entend encore résonner en soi la voix des vieux amis qui chantent en chœur.

2008-09-11

Les uniformes (2)

Dans un billet précédent qui traitait de la disparition de l'uniforme chez les civils, sauf pour les pilotes d'avion et les grands cuisiniers, nous avions évoqué la possibilité que le complet veston soit en réalité le pire des uniformes. Les émissions en chinois de la Voix de l'Amérique nous donnent aujourd'hui raison. Parmi tous les protagonistes et figurants des divers reportages télévisés présentés, pas un seul qui soit habillé en civil : tous portent le costume-cravate rituel.

Le chef donne sa conférence de presse, constituée uniquement de poncifs.

Dessins : Renaud Bouret - 11 Septembre 2008
Couleur : Rié Mochizuki

Celui-ci est assis à la droite du chef, légèrement en retrait.
« Quand je n'aurai plus du tout de cheveux, ce sera peut-être à mon tour de débiter des lieux communs. »

Celui-là est assis à sa gauche.
« Je me demande s'il y aura des langues de canard au banquet qui suivra cette conférence de presse. »

« Moi, je n'ai pas besoin d'écouter, ni de faire semblant, je fais partie des spectateurs. »


Les uniformes (3)

2008-09-06

Les uniformes (1)

Guilin 2008
Photos : Renaud Bouret

On est d'abord passé de la soutane au simple col romain. Et aujourd'hui, nous croisons des prêtres en chemise, sans la moindre marque de commerce. Il n'y a pourtant pas si longtemps, grâce à l'uniforme, les membres de chaque confrérie présentaient un air de famille tout en se distinguant du reste des hommes.

Les uniformes ont-ils encore leur place dans une société centrée sur l'individu? L'uniforme vaut-il encore la peine d'être porté s'il n'y a plus d'yeux pour le reconnaître?

Dans nos sociétés occidentales, l'uniforme ne subsiste que dans l'armée — où le supérieur hiérarchique doit être clairement identifié, pendant que le simple troufion garde son anonymat — et dans quelques corps d'élite au recrutement limité : pilotes d'avions, évêques et maîtres queues.

Il en va tout autrement en Orient. Dès qu'il sort de chez lui, le simple Japonais revêt l'uniforme, aux couleurs de son école ou de son entreprise. Seuls les cadres et les hommes d'affaire peuvent se permettre quelque fantaisie avec leur complet veston, mais ne s'agit-il pas aussi d'un uniforme très standardisé?

La discipline sociale est moins pesante en Chine qu'au Japon, aussi l'uniforme y manque-t-il parfois… d'uniformité. Il est difficile de distinguer un portier de danwei d'un gardien de grand magasin, voire d'un policier de quartier. On dirait que chaque petit établissement se concocte un uniforme de son cru. L'influence japonaise commence cependant à se faire sentir dans les écoles privées et les groupes de voyages organisés — où l'uniforme se limite souvent à la casquette — et plus encore dans les commerces et entreprises de taille moyenne.

Dans les restaurants et boîtes de nuit comptant quelques douzaines d'employés, l'uniforme s'accompagne parfois d'exercices d'allure paramilitaire ponctués de slogans à la gloire du travail.


Les uniformes (2)