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2009-03-10

La mystérieuse locomotive de la BIF

Photo de Marcel Auguste Fermé - Indochine vers 1920

Nous avons inauguré ces carnets, il y a trois ans, en publiant cette étrange photo de Marcel Auguste Fermé, notre grand-père. Derrière la locomotive déraillée, une rangée de silhouettes au chapeau pointu, comme dans un film de Kurosawa à la sauce Tintin au Congo.

Nous avons enfin éclairci le mystère de la BIF. Il s'agit de la société Bienhoa industrielle et forestière, dont Marcel Auguste avait construit la ligne de chemin de fer, à une époque où progrès technique rimait sans conteste avec progrès de l'humanité. Cette deuxième photo, qui a voyagé par bateau de Saigon jusqu'à Marseille puis Tunis, en doublant le cap Gardafui infesté de pirates somaliens, avant de se retrouver en Amérique, cette photo, la voici, 89 ans plus tard, témoignant d'un incident dont il reste peut-être un dernier souvenir dans les mémoires d'un centenaire du coin.

Arbre généalogique

2009-03-01

Naissance de Rosine

C'est avec l'étrange photo d'un accident de train, prise en Indochine par notre grand-père Marcel Auguste Fermé, que nous avons inauguré ces carnets, en 2006. Mais en plus d'être un excellent photographe, un ingénieur de talent, un fils de ses œuvres et un latiniste distingué, Marcel Auguste fut aussi un pacifiste. Démobilisé pour raisons de santé en 1915, après un an dans l'enfer des tranchées, il s'était bien juré que cette guerre devait être la dernière, et que la France avait le devoir de se réconcilier avec l'Allemagne. Pourtant, il fut un des premiers à vouloir reprendre du service, en 1939. C'est que cette fois, il tremblait pour sa propre mère, presque centenaire, installée à Tunis. Car cette noble dame, convertie au protestantisme lors de son mariage, était née à Constantine d'un couple d'immigrés juifs allemands, sous le nom de Rosine Gottlieb.

L'an mille huit cent quarante sept le vingt huit janvier à l'heure de midi par devant nous Benoît Simon Lapaine Commissaire Civil au District de Constantine (Algérie) Officier de l'état civil est comparu le sieur henri Gottlieb agé de trente ans maître boucher demeurant à Constantine, lequel nous a déclaré que le jour d'avant hier à midi la Dame Babette Mayer agée de vingt cinq ans ménagère son épouse légitime est accouchée dans sa maison d'habitation sise rue Caraman d'un enfant du sexe féminin, qui nous a été représenté, et à laquelle il a déclaré donner le prénom de Rosine. Les dites présentation et déclaration faites en présence des Sieurs Antoine Accardo agé de trente trois ans négociant et Massot Dalsème agé de vingt deux ans négociant, tous deux demeurant à Constantine témoins qui ont signé le présent acte avec nous et le comparant, lecture faite (suivent les quatre signatures).

En marge de l'acte, se trouve l'inscription suivante:

Par jugement rendu le quatorze mars mille huit cent soixante, le Tribunal Civil de l'arrondissement de Constantine a ordonné que l'acte ci-contre serait rectifié en ce sens que le père de l'enfant doit être dénommé Hertz Isaac au lieu de Henri Gottlieb et la mère doit être prénommée Barbara au lieu de Babette.
L'Officier de l'Etat-Civil (signature illisible, différente de celle du signataire de l'acte).

En réalité, comme on peut le voir dans l'annexe à la déclaration de naissance, Rosine n'était pas la fille d'Henri Gottlieb, mais de Hertz Isaac, qui naquirent tous deux en Rhénanie. Le père mourut bientôt, dans des circonstances mystérieuses, et on retrouva son corps dans un oued de la campagne constantinoise. Nous reviendrons un jour sur les évènements entourant sa mort (son assassinat?), à l'aide de documents d'époque.

Cent-soixante-deux ans se sont déjà écoulés depuis la naissance de Rosine. Et pourtant, il s'en est fallu de peu que nous ne fassions sa connaissance. Si les années paraissent parfois durer une éternité, les siècles peuvent aussi passer en un clin d'œil.

On a aujourd'hui accès à tous les registres d'état civil des Français d'Algérie grâce au site des Archives nationales d'Outremer.

Arbre généalogique

2008-05-06

Angkor en 1922

Angkor en 1922
Photos de Marcel Auguste Fermé

Pendant qu'il bâtissait le Palace de Bokor, Marcel Auguste Fermé, notre grand-père, fit une petite escapade à Angkor Vat. Comme toujours, il emportait son appareil photo. Voici quelques témoignages de sa visite.

Ces photos, qui figurent parmi les rares rescapés de sa collection, ont traîné au fond des malles, de la mer de Chine à la Méditerranée, en passant par la mer Rouge, et de l'Asie à l'Amérique, après avoir fait escale en Afrique et en Europe, au gré des vicissitudes familiales.

Où se situe Marcel Auguste Fermé dans l'arbre généalogique?

2007-03-21

Le cahier d'Hector Placide Giat

Cahier d'Hector Placide Giat

du Val de grâce, Paris 27 février 1894

Les pages qui précèdent ont été écrites, il y a bien près de cinquante ans, par M. Meslier, mon beau-frère et aussi mon beau-père, puisque j'ai épousé ma nièce, Renée Meslier, le 9 octobre 1883, à Paris.

Nous aimons à relire ces pages. Nous y retrouvons le souvenir d'un homme qui toute sa vie fut honnête et bon. Nous avons nous-mêmes parcouru le pays qu'il décrit, mais si aujourd'hui je me décide à donner une suite au Journal d'un voyageur en 1846, ce n'est pas pour faire le récit d'un voyage devenu maintenant la chose du monde la plus fréquente. Non, je n'ai rien à ajouter aux innombrables comptes-rendus qui ont paru sur cette matière, mais, depuis 14 ans que j'habite la Cochinchine, j'ai eu l'occasion de faire des chasses intéressantes. Avec la plus grande sincérité, je raconterai ici deux de ces chasses, et quand mes enfants reliront plus tard cette relation, mon ombre tressaillira s'ils disent: “il fut courageux”.

Hector Placide Giat (1894)

Hector Placide Giat mentionne le récit de deux chasses. Le premier ne fut jamais achevé. Le second raconte la chasse qui a valu sa jambe de bois au valeureux et sage Hector Placide, le bien nommé. Voir la transcription complète de cette chasse intitulée Mon deuxième tigre.

Ce cahier a connu bien des aventures depuis son inauguration en 1846. Comme journal de bord, il a d'abord accompagné notre ancêtre René Amédée Meslier d'Anvers à Macao, en passant par Madère, Ténérife, Porto Praia, l'île Christmas, Java et Singapour. Hector Placide Giat, gendre de Renée Amédée, a pris le relais lors de sa convalescence en 1894. Renée Meslier (femme d'Hector Placide Giat et fille de René Amédée Meslier), a ramené le cahier dans ses bagages, lorsqu'elle a définitivement quitté l'Indochine en 1946. Cent ans s'étaient alors écoulés depuis le premier voyage de son père en Asie! En 1959, Renée Meslier, alors âgée de 94 ans, confiait le cahier à son petit fils Jacques Fermé, qui résidait à Fréjus. Or, le soir du 2 décembre 1959, le barrage de Malpasset se rompait et la ville de Fréjus fut inondée. C'est pourquoi le fac-similé reproduit ici est gondolé et délavé. Par chance, le texte est demeuré lisible.

Arbre généalogique

2006-12-23

Hector Placide Giat marie sa fille

Acte de mariage de Pauline Giat Acte de mariage de Pauline Giat

Le vingt Janvier mil neuf cent vingt onze heures du matin, devant Nous Roger Ernest Adolphe, Maire de Sourdun, ont comparu publiquement en la maison commune: Fermé Auguste Marcel, Ingénieur, né à Mustapha (Alger) le sept décembre mil huit cent soixante dix neuf, demeurant à Paris, rue des Bons enfants numéro cinq, fils majeur de Fermé Marie Léopold Albert, décédé, et de Isaac Rosine, sa veuve, demeurant à Tunis, Tunisie, sans profession, [renvoi en marge: divorcé de Haffner Renée Jeanne] d'une part;
Et Giat Pauline, Institutrice, née à Saïgon, Cochinchine, le premier Juillet mil huit cent quatre vingt huit, demeurant à Sourdun, fille majeure de Giat Hector Placide, professeur retraité, et de Meslier Renée Amélie, son épouse, sans profession, domiciliés à Sourdun, d'autre part. Les futurs époux déclarent qu'un contrat de mariage a été reçu aujourd'hui vingt Janvier mil neuf cent vingt par Me Venet notaire à Provins. Aucune opposition n'ayant été faite, les contractants ont déclaré l'un après l'autre vouloir se prendre pour époux et nous avons prononcé au nom de la loi que Fermé Auguste Marcel et Giat Pauline sont unis par le mariage. Dont acte en présence de : Giat Hector Placide, soixante et un ans, professeur retraité, demeurant à Sourdun, père de l'épouse, Huet Paul, cinquante trois ans, Instituteur demeurant à Sourdun. Lecture faite, les époux et les témoins ont signé avec Nous.

[Suivent les signatures]

Arbre généalogique

2006-12-11

Hector Placide Giat reçoit l'Ordre Impérial du Dragon de l'Annam

L'empereur d'Annam décerne à Giat l'ordre du Grand Dragon L'Ordre Impérial du Dragon est décerné à Hector Placide Giat

Nous Grand Empereur du Sud obéissant aux volontés du Ciel

Voulant reconnaître les services rendus à Notre Personne et à l'Empire par M. Giat (Hector, Placide) Professeur principal de 2e classe l'avons nommé Chevalier de Notre Ordre.

Fait en Notre Palais Impérial à Hué le 22 du 5e mois de la 7e année de Thành Thái.

Enregistré au Protectorat de France en Annam, No 11173, Hué le 10 février 1896.

Le parchemin comporte une version française et une version vietnamienne transcrite en caractères chữ nôm (importés de Chine au Xe siècle). Sur l'original, les caractères chữ nôm sont disposés en lignes verticales rangées de droite à gauche. Si on se fie aux caractères chữ nôm, Annam signifie ici « Grand Sud » (de même que le Vietnam est l'« Extrême Sud »).

Dans la retranscription ci-dessous, nous avons redisposé les lignes selon l'ordre actuel du chinois (horizontal de gauche à droite, sauf pour le titre) et rajouté les caractères chinois modernes (entre crochets) lorsque ceux-ci diffèrent du chữ nôm. On trouvera un peu plus loin une liste des caractères (ou mots) utilisés, avec leur prononciation et leur traduction chinoise actuelle.

院星龍南大

天興[兴]運[云]
皇帝制曰国家隆賞[赏]褒善酬功
兹特賞[赏]二項[项]教授戛
五項[项]龍[龙]星用彰異…
在 大南國[国] 都城 勤政殿
成泰 七年 五月 二十二日

1. yuàn cour, établissement, institut
2. xīng étoile
3. nán sud
4. dà / dài grand, (clé 37)
5. chéng se charger, assumer, recevoir
6. tiān ciel, jour, temps, nature, Dieu
7. xìng / xīng intérêt, goût, plaisir / prospérer, être en vogue, établir
8. yún nuage, raconter
9. 皇帝 huángdì empereur
10. zhì fabriquer, élaborer, système
11. yuē dire, (clé 73)
12. 国家 guójiā pays
13. lóng profond, intense, saillir
14. shǎng récompenser, admirer
15. bāo louer, dire du bien de
16. shàn bon, bienveillant
17. chóu rétribution
18. gōng exploit, habileté
19. zī / cí ceci, maintenant
20. particulier
21. èr deux, (clé 7)
22. xiàng [documents, travaux de construction, élément d'un tout, article, paragraphe]
23. 教授 jiàoshòu professeur
24. jiá
25. cinq
26. lóng dragon, (patronyme), (clé 212)
27. yòng utiliser, avec, (clé 101)
28. zhāng clair, évident
29. zài à, en, se trouver à
30. guó pays
31. dōu / dū tout, entièrement, déjà, même / capitale
32. chéng muraille, ville
33. qín diligent, laborieux, actif
34. zhèng administration, politique
35. 殿 diàn salle, palais, temple
36. chéng devenir, accomplir, capable, [un dixième]
37. tài paisible, extrême, Thaïlande
38. sept
39. nián année
40. yuè lune, mois, (clé 74)
41. shí dix, (clé 24)
42. soleil, jour, (clé 72)

2006-12-06

Hector Placide Giat raconte son combat avec le tigre

Bravo Giat! Pas peur! Présentez armes! Carte postale sur mesure envoyée par un admirateur de Giat

Donc, depuis deux ans, je dirigeais l'école d'arrondissement de Baria. Le 28 octobre 1893, à huit heures du matin, les notables de Long-hu'o'ng, affolés, accourent à l'école en criant : « Monsieur! Monsieur! Au secours! Le tigre est dans nos maisons! ». Je quitte aussitôt ma classe, je saute sur mon fusil et je pars au galop.

C'était vrai. Un tigre, au cœur même du village, venait d'enlever un cochon. Il s'était caché dans un petit champ de cannes à sucre, entre trois sentiers très fréquentés, à quelques pas de la grand'route qui traverse Baria.

Je fais reculer les Annamites qui m'accompagnent et, seul, je fais le tour du champ.

Le tigre m'aperçoit, quitte son abri et fond sur moi à découvert… Je pouvais me sauver encore. Mais les Annamites me regardaient, je fis face, et laissant l'animal venir à deux pas de moi, je lui tirai dans la tête un premier coup de feu qui le fit trébucher et lui creva un œil. Un second coup de fusil, tiré à bout portant, lui fracassa la mâchoire. Couvert de sang, poussant des rugissements effroyables, le tigre fît un bond et enleva d'un coup de griffe le fusil que je lui présentais. A ce moment je me retourne et, réunissant toutes mes forces, je lance au tigre un vigoureux coup de pied. C'est ce qui me sauva. Le tigre en effet ne tue pas avec ses dents, qu'il a pourtant formidables : il donne la mort avec ses griffes. Quand il s'agit de proie humaine, il commence par ouvrir le ventre; plus rarement il déchire le cou. Le coup de pied que, dans un dernier effort j'avais lancé au tigre, l'atteignit au mufle. Avec la rapidité de l'éclair, l'animal saisit mon pied dans ses griffes, et l'enfonça dans sa gueule en broyant les os.

Alors je tombai sur le dos, mais sans pousser un cri, sans perdre connaissance. Le tigre s'accroupit et me déchira les chairs de la jambe, lentement, en rugissant et en attirant peu à peu sous lui la partie déjà dévorée. Un des os métatarsiens fut retrouvé entre le péroné et le tibia!

Les Annamites, épouvantés, s'étaient pourtant peu à peu rapprochés à une vingtaine de pas. Ils poussaient des cris, frappaient des mains, mais n'avançaient pas.

Comme je parle très couramment l'Annamite, je les exhortai au courage. Je leur rappelai que ma femme les avait souvent soignés et guéris, je leur parlai de mes petits enfants, qui leur reprocheraient leur lâcheté, je leur promis une forte somme d'argent, puis je tirai de ma cartouchière deux cartouches que je lançai auprès d'eux en leur disant de ramasser mon fusil! Mais le tigre leur fit trop peur.

Ma jambe était maintenant dévorée jusqu'au genou. Dans sa gueule toute ensanglantée, le tigre croquait ma rotule qu'il avait déboîtée; ses griffes labouraient déjà la cuisse : la mort allait venir avec le coup de « banderole » en travers du ventre. Alors, me voyant abandonné, je voulus du moins mourir en combattant.

Dégageant brusquement ma jambe gauche intacte jusqu'alors, je frappai, à coups de pied dans les flancs, à coups de poing dans la tête, le tigre qui était presque accroupi sur moi. C'est en me défendant ainsi que je fus blessé à la jambe gauche, mais je n'en continuai pas moins à frapper de toutes mes forces.

Soit pour cette cause, soit parce que l'animal souffrait trop des coups de feu qu'il avait reçu il se redressa tout à coup, rugit une dernière fois en fixant sa victime, et retourna dans le champ de cannes à sucre. Il était resté plus de dix minutes sur moi.

Il fut achevé le soir. On retrouva dans sa tête les chevrotines que j'y avais logées, mais le crâne était intact.

Les Annamites me laissèrent sur le dos, n'osant approcher. Cinq minutes après j'appelai l'un d'eux, je lui nouai mes bras autour du cou, et me fis transporter à l'école. Les Européens étaient accourus. On m'étendit sur un matelas et l'on me fit un pansement sommaire. Mon sang-froid ne m'avait pas abandonné. Je rédigeai moi-même les dépêches à envoyer à ma femme, qui était alors au Cap Saint Jacques près d'accoucher, et à mes chefs. Je donnai les ordres les plus minutieux pour la remise de mon service, je pris les quelques dispositions que la probabilité de ma mort commandait, et j'attendis patiemment, en causant et parfois même en plaisantant, que la chaloupe demandée à Saigon par l'Administrateur vienne me prendre; elle arriva vers minuit. On m'embarqua, et le lendemain vers dix heures du matin, j'arrivais à l'hôpital militaire. Les plaies, horribles à voir, étaient infectées par la gangrène et la bave du tigre; les artères sortaient, les os étaient dénudés.

L'amputation fut faite, au tiers inférieur de la cuisse, par M.Hénaff, remplaçant le médecin chef absent. Cette amputation ne fut pas heureuse. De la chair mâchurée avait été laissée dans la cicatrice; le fémur avait été coupé trop long, et une fissure du périoste s'allongeait, presque invisible, sur une longueur de plusieurs centimètres. Malgré cela, et contre les prévisions des médecins, je ne mourus pas, mais j'endurai pendant 45 jours les plus épouvantables souffrances. Plus d'une fois j'appelai la mort à grands cris.

Le 45ème jour le fémur déchira la cicatrice et fit brusquement saillie au dehors: nouvelle opération. On coupa cette fois 8 millimètres d'os, et on referma la plaie. Les points de suture échappèrent, mais la guérison semblait encore possible. La douleur ayant cessé, l'appétit revint. Le médecin m'autorisa à manger « tout ce que je voulais »… Et alors, en avant les légumes! La bonne tête de veau! L'exquise salade bien verte avec beaucoup de vinaigre! A ce régime-là, naturellement, la dysenterie arriva, réduisant à rien le corps délabré du malheureux qui jeûnait et souffrait depuis près de deux mois. La potion brésilienne, administrée deux fois, fit disparaître la dysenterie, mais laissa à la place la lente, la terrible diarrhée de Cochinchine, qui ronge les tempéraments les plus robustes, et qui a conduit au tombeau, lors de la conquête, cent fois plus de victimes que les balles­­…

Réunissant tout ce qui me restait d'énergie, je parvins à me faire embarquer à bord du courrier du 14 janvier. Le 8 février je débarquais à Marseille, le 9 j'étais admis d'urgence au Val de Grâce. Là, il a été reconnu par les chirurgiens — et ceux-ci savent leur métier — qu'une troisième opération est nécessaire : il reste à enlever encore 8 à 10 centimètres de fémur! Cette opération ne pourra être tentée que dans plusieurs mois, car mon état de faiblesse extrême ne permet pas d'y songer pour le moment

De tous les coins de la Cochinchine où je suis très connu, du Tonkin, de France, il m'est arrivé de nombreux témoignages de sympathie. Le Gouverneur lui-même a tenu à venir lui-même passer une heure auprès de mon lit d'hôpital. Le commandant de la Marine, le colonel de la Calle, les chefs de service sont venus, à plusieurs reprises, me serrer la main.

J'ai bien souffert! Je reste mutilé, privé du seul plaisir au monde que je m'accordais volontiers, la chasse. Mais je crois avoir fait mon Devoir!

Hector Placide Giat - 1894

Arbre généalogique

2006-11-30

Comment H.P. Giat se battit avec un tigre

Fac-simile de l'article du Bulletin de l'Amicale Fac-simile de l'article du Bulletin de l'Amicale écrit par Henry de la Chevrotière vers 1938

Vous voulez un conte pour le bulletin de l'amicale?

J'avoue ne pas aimer immodérément les fictions, je leur préfère les choses vraies, les histoires vécues.

Il y a des vérités plus belles que tout ce qu'on peut imaginer.

Je vais vous narrer un acte héroïque d'un ancien.

Tout d'abord, je vous présente mon héros, un héros réel, un héros qui exista et que j'ai connu. Il se nommait Hector Placide Giat.

Si Hector est un nom de grand héros de l'antiquité, Placide est un prénom de bourgeois calme.

Feu Giat était un homme courageux, mais d'un courage calme, sans exaltation, placidement.

Cet homme était, aux environs de 1890, un de mes professeurs à Chasseloup-Laubat. J'avais son fils comme camarade de classe.

Plus tard, au cours de 1892, je retrouvai Hector Placide Giat au Cap Saint-Jacques, chez mon père, en notre chaumière, au bord de la plage. Mon père s'était lié d'amitié avec cet homme.

Dans ma mémoire, je le revois un soir, à la table de famille, avec quelques autres invités au nombre desquels se trouvaient: Wetzel, un garde forestier; Rochon et Luperne, deux pilotes du temps jadis.

Assis à un bout de la table, j'écoutai les récits de ces hommes, de ces géants. Trois d'entre eux, Giat, Rochon et mon père, étaient d'une taille au-dessus de la normale, plus d'un mètre quatre-vingt-dix, de vrais géants pour le bambin de neuf ans que j'étais alors.

Il était question de chasse.

Giat racontait comment il venait de tuer un tigre en d'assez bonnes conditions.

Voyant la fougue de Giat qui rêvait de tuer d'autres fauves, Wetzel, le chasseur illustre, lui conseillait la prudence. Wetzel conta quelques-unes de ses rencontres avec le roi de la jungle.

J'étais tout oreille, ne perdant pas un mot de la conversation. Je pourrai la rapporter entièrement aujourd'hui, après plus de quarante-et-un ans, mais comme le disait Kipling, ceci est une autre histoire.

Ces conseils de prudence, avec exemples à l'appui, n'impressionnaient point Giat et, fanfaronnant un peu, par plaisanterie, il dit à Wetzel :

— Je n'ai pas peur de tes tigres et, s'il le fallait, je me battrais corps à corps avec l'un d'eux.

— Tu n'auras pas le dessus, mon cher ami. Le tigre est un animal terrible, déclara Wetzel.

— Tu crois. Eh bien! Je n'en suis pas sûr. Je n'irai pas le provoquer, mais s'il fallait me défendre, il me semble que je l'étranglerais.

Pour moi, enfant, voyant la stature de Giat, je pensais qu'il n'aurait aucune peine à accomplir pareil exploit.

* * *

Un an se passa, nous étions en Octobre 1893.

Mon père, gravement malade, était en traitement à l'hôpital militaire.

Le dimanche matin, sortant de Chasseloup, je me rendis à son chevet. Là, j'entendis un bout de conversation entre le médecin de la salle et mon père.

— On vient de transporter Giat à l'hôpital, on va lui amputer une jambe.

— Que lui est-il donc arrivé?

— Il s'est battu avec un tigre qui l'a grièvement blessé.

— Sa vie n'est pas en danger?

— Je ne pense pas. Cependant on ne sait jamais.

Inutile de vous dire que mon imagination de gosse travailla jusqu'à ce que je connus la vérité.

Voici cette vérité, telle qu'elle me fut contée à l'époque.

* * *

Giat avait créé, depuis deux ans, l'école primaire de Baria.

Un samedi matin, sa femme, l'actuelle Directrice du Foyer de la jeune fille, étant au Cap Saint-Jacques, il voulut lui envoyer quelques bécassines. Prenant son fusil, il en tira rapidement une douzaine à quelques centaines de mètres de l'école.

Avant huit heures, il était revenu et, s'étant douché, il allait commencer son cours, lorsqu'il vit un groupe d'indigènes affolés venir à lui. Ils lui racontèrent que le tigre venait de prendre un de leurs cochons et l'avait emporté dans un champ de cannes à sucre proche pour le dévorer.

— J'ai ma classe, répondit Giat, je ne puis y aller.

— Monsieur, il est là tout près, de l'autre côté du pont — le pont qui est à l'entrée de Baria en venant de Saigon —, c'est un danger, les enfants qui vont venir en classe dans un instant risquent d'être pris par ce tigre.

À cette idée, Giat n'hésita plus.

Prenant quatre ou cinq chevrotines, il décrocha son vieux Lefaucheux à broches et il suivit les indigènes.

Il avait à peine passé le pont que là, près du sentier que suivaient ordinairement les enfants pour se rendre à l'École, on lui indiqua le champ de cannes en lequel se trouvait le tigre.

Giat examina le terrain et, choisissant un coin, il ordonna : « Construisez-moi rapidement un mirador, ici. »

À peine avait-il prononcé ces paroles qu'il entendit derrière lui un ricanement et un nhaqué murmura : « Le Français a peur! »

Le sang de Giat ne fit qu'un tour.

— Qui a dit qu'un Français pouvait avoir peur?

Comme on lui indiquait celui qui avait tenu ce propos, il lui déclara :

— Je vais te montrer qu'un Français n'a jamais peur, je n'ai pas besoin de mirador. Je sais que le danger est sérieux, tu verras comment un Français l'affronte.

Tout ceci était dit en annamite, car Giat parlait admirablement la langue indigène.

Les nhaqués rassemblés reçurent pour mission de passer de l'autre côté du champ de cannes pour y faire du bruit et rabattre ainsi le tigre sur Giat.

Bientôt, ce fut un vacarme monstre : tamtam, crécelles, touques à pétrole furent les intruments employés pour ce concert.

Le tigre dérangé sortit du champ de cannes en traînant les restes du porc, lorsqu'il aperçut Giat. Lâchant sa proie, le tigre s'élança vers le chasseur.

Giat visa et lâcha son coup de chevrotines dans le poitrail de la bête, celle-ci continua sa charge et en une seconde fut sur l'homme. Giat, sans perdre son sang-froid, lui lâcha à bout portant son deuxième coup en pleine gueule.

Le tigre boula, il avait les machoires complètement brisées, mais il demeura à terre à peine quelques secondes et, avant que Giat ait pu extraire ses cartouches et recharger son arme, le fauve était de nouveau sur lui.

Giat, prenant le fusil par les canons, asséna un coup de crosse sur la tête de l'animal en furie, mais celui-ci, d'un coup de patte, fit sauter cette massue improvisée des mains de son adversaire, puis, bondissant sur lui, le renversa.

Couché sur le dos, Giat se défendit à grands coups de pieds. Il remarqua que le tigre avait un œil emporté et il s'acharna à coups de talons sur l'autre œil. Avec ses griffes, le tigre labourait les jambes de Giat qui n'avait qu'une idée, se protéger le ventre et le corps. Chaque coup de pied qui portait sur l'œil intact du tigre faisait reculer la bête, un coup plus heureux aveugla momentanément le fauve.

Giat était sauvé.

Le tigre, grièvement blessé, n'y voyant presque plus, se réfugia de nouveau dans la touffe de cannes.

Tous les indigènes, épouvantés, s'étaient réfugiés sur les arbres environnants. Giat les appela en vain à son secours.

Le malheureux dut se traîner comme il put, sur une distance de quarante ou cinquante mètres.

Un Annamite vint alors à lui, il se cramponna à son cou et fit ainsi une centaine de mètres les jambes pendantes, raclant le sol.

Mais les Européens du poste avaient été alertés.

Le premier qui arriva, le douanier, d'Audigier, était tellement ému qu'il faillit s'évanouir près de Giat.

Ce fut le payeur Antonetti qui porta un secours efficace au blessé. Il le fit transporter au Trésor et là il commença à désinfecter les plaies béantes avant de procéder aux pansements.

Dussol, l'Administrateur de Baria, réquisitionna aussitôt la chaloupe de la vaccine et envoya d'urgence Giat à l'hôpital militaire de Saigon où le Docteur Trucy procéda à l'amputation de la jambe droite, la plus endommagée.

Voilà comment, mis au défi, Giat se battit avec un tigre pour démontrer que les Français n'ont jamais peur.

Arbre généalogique

Ne trouvez-vous pas que cette histoire vécue vaut mieux qu'un conte?

On dit que qui se ressemble s'assemble.

Madame Giat, actuellement, avec le même stoïcisme, se dévoue pour les orphelines auxquelles elle démontre que, s'il y a des hommes blancs ayant assez peu de cœur pour abandonner leurs enfants, il y a de braves femmes pour leur servir de maman.

Comme son mari le fit jadis, elle donne aujourd'hui l'exemple des vertus françaises.

Henry de LA CHEVROTIÈRE

2006-11-12

Éloge funèbre d'Hector Placide Giat

Hector Placide Giat dessiné par un de ses admirateurs

« Il était né le 23 septembre 1858, dans cette localité [Sourdun dans la Brie], d'une famille d'ouvriers pauvres. Il y fréquenta l'école communale et, sous l'excellente direction de son instituteur, M. Jeannard, il fut reçu, à 16 ans, premier à l'École Normale de Melun. Admis à l'École de Cluny en 1877, il fit un an dans la section des sciences; sur l'indication de notre professeur de littérature, il entra l'année suivante dans la section des lettres; mais il ne devait pas terminer cette année à l'École. À la suite d'une manifestation bruyante de jeunesse, due à son tempérament ardent, il dut quitter l'École et fut envoyé en Cochinchine comme professeur au Collège indigène que le premier gouverneur civil, M. Le Myre de Vilers, venait d'installer. Ce lui fut l'occasion d'apprendre la langue annamite qu'il parlait très purement.

C'est à Baria que, le 28 octobre 1893, Giat fut le héros et la victime de ce que le journal officiel de la Colonie appelle un acte de dévouement accompli dans l'intérêt public. En plein jour, un tigre descendu de la montagne se glisse dans le village, enlève un porc, et se remise dans un champ de cannes à sucre entouré de cases habitées. Les notables battent le tam-tam et se précipitent à l'école, appelant à leur secours le Directeur qui parle si bien leur langue, et qui a déjà tué un tigre à l'affût. Giat sait ce qu'il risque; il prend son fusil, fait seul le tour du champ et charge le tigre qu'il tire à bout portant, mais celui-ci, tout mortellement blessé qu'il est, lui dévore la jambe droite. Transporté en chaloupe à Saigon, il fut amputé de la cuisse et envoyé, trois mois après, au Val de Grâce où il acheva sa convalescence. Retourné en 1894 à Baria, il revient définitivement en France en 1899, retraité pour infirmité, et se fixe dans son village natal. »

(Extraits de l'éloge funèbre d'Hector Placide Giat)

Arbre généalogique

2006-10-23

Indochine 1920

Photo de Marcel Auguste Fermé - Indochine vers 1920

Marcel Auguste Fermé était ingénieur centralien. On lui doit, entre autres, le marché colonial de Phnom-Penh, plus vivant que jamais, et le Palace de Bokor construit sur les plateaux du même nom dans le style art déco et aujourd'hui en ruines.