2008-02-09

Bonjour et Bonne journée

Au comptoir du café, la caissière nous salue invariablement d'un bonjour. Et sitôt que nous avons payé, elle nous souhaite une bonne journée. L'inverse serait absurde pour n'importe quelle personne de langue maternelle française, quel que soit son niveau d'instruction. Du moins, il est impossible d'accueillir les clients avec l'expression bonne journée et de les congédier en leur souhaitant de passer un bon jour. Y a-t-il une loi simple qui expliquerait la nuance entre jour/journée, an/année, matin/matinée, soir/soirée, etc.? Existe-t-il une explication moins compliquée que les fastidieuses énumérations des grammaires? C'est probable puisque les étrangers y perdent leur latin, alors que les francophones ne s'y trompent jamais.

On prétend parfois que les mots journée, année, etc. impliquent une notion de durée, contrairement à jour, an, etc. Mais il s'agit d'un effet de sens, c'est-à-dire d'une conséquence et non d'une cause. Quand on dit que « le passage à l'heure d'été s'est fait sans heurt, cette année », où est la durée? Par contre, Edmond Dantès a dû trouver le temps long, lui qui fut enfermé au château d'If pendant quatorze ans.

Le mot journée fait plutôt référence à une chose sur laquelle les interlocuteurs sont déjà de connivence. Le principe est le même que pour l'expression elle part bien demain (voir notre billet sur ce sujet). Dans ce dernier cas, le locuteur et le récepteur s'attendaient déjà à ce qu'elle parte demain. L'information fournie ne porte donc pas sur le choix du jour du départ, car ce choix est déjà fait, mais sur la confirmation de la date prévue. De la même façon, bonne journée (comme bonne année) fait d'abord référence à la journée à laquelle nous pensons tous deux, avant même de souhaiter qu'elle soit bonne ou mauvaise.

  • Elle part demain (ça aurait pu être après-demain). / Elle part bien demain (elle aurait pu ne pas partir).
  • On se reverra un beau jour (n'importe quel jour, on n'a pas encore choisi lequel). / Je vous souhaite une bonne journée (celle que nous venons de commencer ensemble et que vous allez continuer de votre côté).
  • * On se reverra une belle journée (pas français). / * Je vous souhaite un bon jour (pas français).
  • Il m'a fallu deux ans (ça aurait pu être trois). / J'ai souffert pendant ces deux années-là (on sait déjà, du moins implicitement, de quelles années il s'agit et leur nombre est prédéterminé).

Le double exemple qui suit résume bien la règle permettant de choisir l'expression appropriée dans chacune des paires jour/journée, an/année, matin/matinée, soir/soirée :
[1] Je viendrai ce soir (j'ai d'abord pensé que je viendrai, puis j'ai fixé le moment : après avoir décidé de venir, il m'était encore possible de choisir quand je viendrais).
[2] Je viendrai en fin de soirée (j'ai d'abord réfléchi au moment, puis j'ai décidé qu'il conviendrait à ma venue : un fois le moment envisagé, il me restait encore à déterminer s'il ferait bien l'affaire).
Dans la phrase [1], l'ordre des mots est le même que celui de la pensée. Dans la phrase [2], la langue ne permet pas de faire coïncider les deux ordres. Le suffixe [ée] sert alors de signal pour indiquer la discordance entre l'ordre de la langue et celui du monde réel.

Kyō dō desu ka?
Comment s'est passée la journée?
Dessin de Rié Mochizuki

Le japonais permet une nuance similaire, quoique moins systématique (et pas tout à fait convaincante?) :
[1] Dō desu ka kyō? (Comment + être + [interrogation] + aujourd'hui)
[2] Kyō dō desu ka? (Aujourd'hui + comment + être + [interrogation])
[1] Comment ça s'est passé aujourd'hui? (et non hier, par exemple)
[2] Comment s'est passée la journée? (et non comment a-t-elle commencé, par exemple).

今日 kyō aujourd'hui

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