Éducation et bureaucratie : Tocqueville l'avait prédit
Pendant que certains pays émergents entreprennent un rattrapage spectaculaire dans le domaine de l'éducation, notre société s'ingénie à implanter des réformes fantaisistes et à bureaucratiser l'art d'enseigner.
Tocqueville avait prévu cet effet pervers de la démocratie, qui conduit les citoyens à préférer l'égalité à la liberté, quitte à abandonner à l'administration publique un champ de responsabilités de plus en plus large. Noyés par une multitude de lois et de règlements censés les protéger de l'inégalité, les citoyens finissent par perdre toute initiative.
Jusque dans les années 1980, les Cégeps étaient encore épargnés par le rouleau compresseur du bureaucratisme, mais, désormais, celui-ci « ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète » (Tocqueville - 1840).
Le système éducatif a en même temps changé de vocation : « Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; » (Tocqueville - 1840).
Au lieu de chercher à améliorer la qualité de l'éducation, on se préoccupe désormais de fignoler la qualité des règlements. Ainsi, des milliers d'heures de travail sont détournées vers la fabrication de politiques, qui seront révisées périodiquement par une pléthore de comités locaux, et que le ministère examinera et critiquera périodiquement. Plutôt que de discuter de recherche académique ou d'innovations pédagogiques, les enseignants seront contraints de débattre des virgules d'un règlement aussi vide de contenu qu'épais en volume. Jamais l'expression « un déluge de mots dans un désert d'idée » n'aura autant convenu que pour ce laïus indigeste nommé Politique institutionnelle d'évaluation des apprentissages.
Dans le cadre de troisième plan quinquennal promulgué depuis deux ans, les grands timoniers de l'éducation concoctent la Politique institutionnelle d'évaluation des apprentissages.
Dessin de Renaud Bouret
Si la Politique est jugée valable par les bureaucrates du ministère, on pourra fièrement affirmer, sur le porte-avion du conseil d'administration : « Mission accomplished! ». Dès lors, l'enseignement dispensé par le Cégep sera frappé du label d'excellence, même s'il n'a jamais été examiné de près. Cette moderne danse de la pluie aura évité à l'institution de faire face à ses responsabilités les plus dérangeantes : éliminer l'incompétence et la paresse, tout en encourageant l'effort et le savoir-faire, comme dans toute entreprise digne de ce nom.
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