2011-08-07

Une langue sans pronoms?

Dupont se lève, il prend son parapluie, et il sort.
(Dessins de Rié Mochizuki)

Les pronoms existent-ils vraiment en japonais?

Il existe bien un pronom de la troisième personne (« kare » : lui, elle), mais il n’est guère employé en tant que pronom. Une phrase tel que « Dupont se lève, il prend son parapluie, et il sort. » se traduira par « Hashimoto se lever. Prendre parapluie. Sortir. ». Même l’adjectif possessif « son » a disparu de la phrase japonaise.

• Je, moi : Watashi, Atashi, Boku, Ore
• Tu, toi : Anata
• Il, lui, elle : Kare, Kanojo
わたし、あたし、ぼく、おれ、あなた、かれ、かのじょ、私、僕、俺,彼方、彼、彼女

Il n’existe pas non plus de véritable pronom de la deuxième personne en japonais. Théoriquement, on devrait utiliser « anata » (toi, tu), mais ce n’est guère poli. On se gardera bien de dire, crûment, « Tu es libre demain? ». Il vaut mieux s’adresser à son interlocuteur en utilisant directement son nom : « Hashimoto est libre demain? ».

Hashimotosan wa okite, kasa o motte, dekakemasu.
橋本さんは起きて、傘を持って、出かけます。

Les femmes utilisent souvent le terme « anata » pour appeler leur mari. « Anata… gomi o suteru? », littéralement  « Toi… sortir la poubelle? ». Ce qui tend à montrer que « anata », comme « kare », est plutôt un nom qu’un pronom. La Japonaise appelle son mari « anata », comme la Française l’appellerait « chéri » et la Québécoise « Pitou ».

Un langue sans pronom… Des phrases sans sujet, pour la plupart… Voilà qui pourrait sembler étrange pour des gens normaux, comme vous et moi, qui savent pertinemment qu’une phrase bien construite se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément d’objet. Non seulement « kare » n’est pas un véritable pronom, mais il est aussi bien masculin que féminin. Les Japonais sont-ils bizarres, qui ne distinguent pas entre le « il » et le « elle »! Ils sont sexistes, c’est bien connu, comme certain-e-s militant-e-s de la tolérance se plaisent à le rabâcher, avec une certaine condescendance.

Mais, selon le proverbe Zen, « le saule qu’on empêche de pousser dans son jardin ressort de l’autre côté du mur » (©). Et il en va de même pour toutes les langues, qui trouvent toujours un coin pour fleurir. Saviez-vous que les Japonais possèdent plusieurs pronoms « je ». Il y a le « je » au masculin (« boku »), au féminin (« atashi »), au neutre (« watashi »), au masculin familier (« ore »), au neutre poli (« watakushi »). Dire que les francophones doivent se contenter d’un simple et unique pronom pour nommer toutes ces réalités. Nous ne distinguons même pas les femmes des hommes! Que font Martine Aubry, Eva Joly et Ségolène Royal! D’accord pour le Big Mac halal, le défilé du 14 juillet sans trouffions et la chasse aux professeurs pédophiles, mais il ne faudra quand-même pas oublier de réformer la langue française et de la purger enfin de ses relents patriarcaux. Prenons exemple sur les Japonais-e-s, que diable!

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Comment se dirait la phrase suivante en japonais :
«Moi Tarzan, toi Jane.»

La version féminine («Moi Jane, toi Tarzan.») serait-elle la même ?

La chanson de Françoise Hardy «Moi vouloir toi» pourrait-elle se concevoir en japonais ?

Une langue qui renonce (presque) aux pronoms ne renonce-t-elle pas du coup à de multiples possibilités de variations grammaticales et à de non moins multiples occasions de jeux de mots ?

Il est étrange que le français, pour faire «primitif» ou maladroit (cf. Tintin au Congo), mulltiplie les pronoms («Moi il y en écrire à toi.») En québécois, la redondance du «tu» à l'interrogatif («Tu m'aimes-tu ?») est-elle un signe que notre mentalité est réfractaire à la psyché japonaise, économe en pronoms ? J'ose espérer que non.

Domo arigato d'avance.

Balourd 10

Bái Lìdé a dit...

Et si c’était une exploratrice japonaise, appelons-la « Jun », qui avait découvert Tarzan, plutôt que Lady Jane? Une fois les premiers émois de la rencontre passés, Jun se serait sûrement dit, comme Jane d’ailleurs, « pour devenir un homme véritable, Tarzan doit maintenant apprendre à parler ». Et hop, au travail, Jun aurait commencé à montrer à Tarzan non pas les rudiments du langage humain, mais les rudiments de la langue japonaise.

Si on suit le scénario original du roman, Jun se serait présentée en disant « Jun desu! » (« Jun être! ») ou, plus simplement, « Jun! ». Et elle aurait demandé à Tarzan de se présenter à son tour. Les pronoms personnels auraient été superflus pour la bonne marche d’une conversation qui, ne l’oublions pas, se tenait en comité restreint et à mille milles de la civilisation.

Comme on peut le constater, la fameuse phrase d’Edgar Rice Burroughs, « You Tarzan, me Jane » aurait, en japonais, une valeur à peu près nulle sur le plan de la grammaire et du vocabulaire, puisqu’elle se traduirait par un simple échange de deux noms propres.

Si Edgar Rice Burroughs avait été Japonais plutôt qu’Américain, il aurait sans doute imaginé le monologue suivant :
— Banana oishii. Sake warui. (Banane bon, gnôle mauvais.)
Nous aurions là des phrases bâties sur un modèle fondamental : Sujet + Prédicat.
Excellente première brique pour entreprendre la construction de l’édifice du langage.

Gageons que nos grands-parents Cro et Magnon s’y sont pris de la même façon que Jun pour inventer le langage humain. S’ils avaient commencé par « Toé Tarzan. Moé Jane », ainsi que le suggère Edgar Rice Burroughs, les habitants de Fukushima seraient probablement encore en train de chasser le mammouth.

PS-1. En ce qui concerne le « Tu m’aimes-tu? » québécois, nous sommes en présence de simples homophones. Le second « tu » est une contraction de « t-il » (Ivati, ivatipa?), une sorte de particule de l’interrogation, que l’on colle après le verbe, comme on le fait d’ailleurs en japonais (« ka ») et en chinois (« ma »).

PS-2. Si j’avais l’honneur d’apparaître dans un manga, l’auteur pourrait me faire dire, en japonais, et de façon très réaliste « Bai Lide y’en a pas content, vouloir casser figure à toi ». Je ne serais nullement vexé de la chose, sachant que le fait de mal parler une langue étrangère ne fait pas nécessairement de soi un primitif.

Anonyme a dit...

Plaît-il ? Plais-tu ? Mille mercis pour votre abondante réponse, mais surtout pour l'explication de notre «tu...-tu?» vernaculaire. Je vais me coucher moins balourd ce soir. Cependant, je me garderai bien de lire des mangas s'ils véhiculent tous des messages aussi violents.
Balourd 10