2007-10-31

Si vous n'avez rien à dire, dites-le en grec ou en latin

Dans un billet précédent, nous contions l'anecdote du pauvre bougre qui, digérant mal, apprend de la bouche de son médecin qu'il fait de la dyspepsie (mot qui signifie en grec « mauvaise digestion »). Depuis, chaque fois que nous feuilletons un article de psychologie ou de sociologie, nous ne manquons pas de tomber sur des exemples similaires. Voici donc le dernier en date :

Leur découverte commence par un beau matin d'octobre 1887, lorsqu'un certain Monsieur C. s'installe avec un bon livre, et constate avec surprise qu'il ne sait plus lire. « Cécité verbale pure », tel est le diagnostic établi alors par le neurologue Joseph-Jules Déjerine. Aujourd'hui, on parle d'alexie.
(Sciences humaines, octobre 2007, p. 60)

Mais que veut dire cécité verbale au juste? Ça signifie que Monsieur C. est aveugle aux mots, bref qu'il ne peut plus lire. « Merci docteur de m'avoir prévenu… non, non inutile de mettre votre diagnostic par écrit, ça ira comme ça. Au fait, existe-t-il des cas de cécité verbale impure? »

Un siècle plus tard, on a quand même évolué. L'homme de sciences moderne ignorant désormais le latin, il ne se gêne pas pour rendre son verdict en grec. Alexie signifie tout simplement que Monsieur C. est incapable de lire.

Si on croisait dyspepsie (« digère mal ») avec alexie (« ne peut pas lire »), on obtiendrait dyslexie (« lit mal »). Finalement, ce n'est pas si dur que ça, de parler dans un langage savant.

Ce qui nous amène aux propos de l'article cité plus haut. Il y est question des Neurones de la lecture, un ouvrage de l'expert du cerveau Stanislas Dehaene, publié chez Odile Jacob. On y apprend que notre cerveau, bien qu'il n'ait guère eu le temps d'évoluer depuis des dizaines de milliers d'années, possédait déjà la capacité de déchiffrer un texte bien avant l'invention de l'écriture. Selon Dehaene, cité dans l'article, « l'étape charnière de la lecture, c'est le décodage des graphèmes en phonèmes », autrement dit la conversion des lettres en sons. La vieille méthode du B-A-BA est donc la façon idéale d'apprendre à lire.

La méthode dite globale, tant vantée par les pédago, reposerait donc, d'après Dehaene, sur une perception naïve de l'écriture : la reconnaissance globale des mots par les adultes provient d'un automatisme. Bref, pour apprendre à lire avec la méthode globale, il faut déjà posséder une solide expérience de la lecture! Inutile de s'étendre sur le désastre.

Récréation : Et maintenant, jouons à la méthode globale.

Expérience classique du cours de perfectionnement des maîtres :

  • Le pédago inscrit au tableau le mot automobile.
  • Les professeurs qui suivent son cours, réputé de niveau universitaire, doivent avouer qu'ils ont déchiffré le mot globalement, sans analyser les lettres une par une. Les plus cancres s'extasient devant tant de science, les plus intelligents restent légèrement sceptiques.
  • Le pédago inscrit maintenant au tableau le mot Locomotive.
  • Cette fois, la classe est unanime. Tout le monde a reconnu d'emblée la locomotive. Certains distinguent même les roues et la cheminée (d'où l'intérêt du L majuscule).
  • Tous les profs reçoivent une note de A (ou 20 sur 20), et on se quitte emballés d'avoir tant appris, aux frais de l'État.
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