2008-10-11

Combien font 6 fois 14?

À deux pas du pont qui enjambe la rivière des Outaouais, et qui sépare Gatineau du Canada anglais, la Société des alcools du Québec a installé un vaste magasin-entrepos.

Vendredi soir. Un Ontarien, dans la trentaine, arrête de pousser son petit chariot et prie sa compagne de lui venir en aide :
— Tu sais combien ça fait, toi, six bouteilles à 14 dollars?
— Non, je n'ai pas apporté ma calculatrice, répond-elle tout en se creusant timidement les méninges.
— C'est parce que si on prend six bouteilles, on a une réduction de 10 %. J'aimerais bien savoir si c'est un bon prix.
Ce mot de pourcentage, tombant juste après l'estoc de la multiplication, c'est le coup de grâce. La jeune femme, déjà déboussolée, capitule. Elle désigne alors le sommelier, au fond de la boutique.
— Pourquoi ne demandes-tu pas à cet employé?

Une Japonaise, témoin de la scène, souligne le contraste entre son pays et le nôtre. Chez elle, il aurait été impoli pour un client de faire une telle demande à un employé. L'employé peut renseigner le client sur un prix, indiquer le chemin de la caisse, voire grimper sur un escabeau pour chercher un article. Cela fait partie de son métier. En revanche, il serait saugrenu de lui faire effectuer une multiplication à notre place. Ce serait le traiter en serviteur et donc le considérer comme inférieur. Or, un employé n'est pas moins égal au client à l'intérieur de son magasin qu'il ne l'est dans la rue.

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »

Puisque nous sommes situés à l'épicentre du choc des cultures, observons à présent le caissier. Le client tend son billet. Le caissier rend la monnaie. Le client remercie le caissier. Ce dernier marmonne « de rien », et passe au prochain client.

Que de choses à voir, dans un verre de vin!
Des lampes, des visages, et même des bouteilles.
On y découvre, superposé, ce qui est devant nous et derrière nous.
On y lit l'avenir et le passé.

Un tel renversement des rôles serait incroyable au Japon. Non pas que les coutumes japonaises soient supérieures à celles de l'Amérique du Nord. Mais pour un Japonais, voir le client remercier le magasin… c'est vraiment le monde à l'envers. Au Japon, le caissier n'est pas un quelconque individu payé pour sourire avant qu'on n'achète et rendre la monnaie après. Il est plutôt le membre à part entière d'un organisme, qu'il sert avec loyauté. C'est le caissier qui remercie le client, au nom du magasin, en lui rendant sa monnaie.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Sacré contraste entre "電卓やねぇ、人間や!" et "uhh, ché pas, j'ai besoin d'une calculatrice..."

Pour se moquer de Socrate, le premier ne veut pas savoir qu'il sait, et le second sait qu'il ne fallait pas le savoir, faute de cours de calcul simple...