Robot japonais, robot québécois
Au Japon, et dans les pays voisins, les camions émettent un message d’avertissement lorsqu’ils reculent. Un message composé de phrases véritables, dans l’idiome local. D’ailleurs, au Japon, la plupart des machines parlent, dans une langue élégante et soutenue.
Les ascenseurs, les entrées de stationnement et les baignoires susurrent, d’une douce voix féminine :
« Le bain de Votre Seigneurie est prêt, à la température de 41 degrés. »
Pour les trains ou les camions, cependant, la voix masculine est de rigueur :
« Le train à destination de Nishinomiya, Ashiya, Osaka va bientôt entrer en gare, veuillez vous tenir en deçà de la ligne jaune. »
« Attention! Ce véhicule est en train de reculer! »
On ne saurait être trop autoritaire quand quelqu’un risque de se faire écraser.
Lorsqu’il visite un pays occidental, le Japonais découvre avec stupeur que nos camions ne sont pas encore parvenus au stade du langage articulé. Nos poids lourds se contentent de balbutier des « Tut-tuut, Tut-Tuut » ou des « Pi-Pou, Pi-Pou ».
L’explication classique de ces différences est la suivante : en Occident, encore imbibé de tradition chrétienne, seul Dieu a le droit de créer un être humain à son image. La machine doit rester une machine, surtout si elle ressemble à une machine. Il y a bien des robots qui parlent, dans les films ou dans les musées, mais encore faut-il que leurs voix sonnent comme des casseroles. En Extrême-Orient, où les dieux sont multiples et peu autoritaires, le tabou de la machine qui parle n’existe pas.
Quelle n’est donc pas ma surprise, en appelant le Collège de Limoilou, de constater que le robot téléphonique s’exprime à la première personne : « Veuillez patienter pendant que je transfère votre appel. » Cette fois, Dieu est bien mort. Ou bien, nous sommes en train de nous japoniser… À moins qu’il ne s’agisse d’une énième étape de l’infantilisation de la société : le « je » ne devient-il pas haïssable lorsqu'on a passé l'âge de raison?
Un jour que je servais d’interprète à une spécialiste chinoise du papier découpé, dans une école primaire de l’Outaouais, je fus surpris d’entendre l’institutrice déclarer à la cantonade : « Je m’assois. Je pose mes mains sur mon pupitre. Je respecte les autres. »
Si tu veux t’asseoir, assieds-toi, pensai-je. Pourquoi l’annoncer à tes élèves? A-t-on besoin de se livrer à ces humiliantes professions de foi lorsqu’on est maîtresse à bord après Dieu? Bizarre, étrange, sensation de déjà vu… Institutrice en chair et en os, ou robot de Limoilou sous la peau d'un androïde?
Soudain, je compris. Ce n’est pas à elle-même que la maîtresse s’adressait, mais à ses élèves. C’est l’élève qui s’assoit et non la maîtresse. Le « je » a valeur de « tu ». La première personne de l’indicatif a remplacé, au sein de notre système scolaire, la deuxième personne de l’impératif. Ainsi, une phrase entendue dans la cour d’école, telle que « Farmez vos yeules! », se traduira, en novlangue, par « Je me tais ».
Autrefois, le premier jour d’école marquait l’entrée dans le monde, loin des jupes de sa mère. Désormais, on restera un enfant jusqu’à ce que la vie en décide autrement.
1 commentaire:
En France on vous dirait tout aussi bien "Alors, il s'assoit et il se tait !"
Publier un commentaire