Le soldat Martines en Tunisie (2)
Nous reprenons le récit de la vie du soldat Martines pendant la campagne de Tunisie en 1943. Peu de jours après son débarquement (voir l'épisode précédent), Martines et ses collègues de l'armée italienne se retrouvent à Bou Arada, village de la région montagneuse de Zaghouan. C'est le jour de Pâques. Il fait donc, comme à chaque jour de Pâques en Tunisie, un soleil radieux. Mais l'offensive alliée se rapproche. Les soldats de l'escadron de Martines sont envoyés retirer les mines qu'ils avaient semées quelques semaines plus tôt dans un champ de blé.
2. Journée de Pâques dans le champ de mines
C'était une belle, une magnifique journée, ensoleillée, resplendissante. Nous avions une bonne distance à marcher pour arriver jusqu'au champ de mines. Le sous-lieutenant Imparata, qui était originaire de l'île d'Elbe, nous a dit : « Arrêtons-nous, les gars, et reposons-nous un peu. » Alors nous nous sommes arrêtés. Je dois préciser qu'un peu plus tôt, à peine trois jours après notre arrivée en Tunisie, deux soldats de notre compagnie, pendant qu'ils mangeaient leur ration, avaient été atteints par un projectile d'artillerie, et ils furent blessés tous les deux. L'un se nommait Tiradanni, et l'autre, je ne m'en souviens plus. Donc, le lieutenant nous dit : « Vous êtes au courant que ces deux soldats, Tiradanni et l'autre, ont été blessés puis rapatriés en Italie. Moi aussi, j'aurais bien désiré — et ça, ce sont des paroles qu'en qualité d'officier, il n'aurait jamais dû prononcer — j'aurais bien désiré retourner en Italie. Sur ces mots, nous sommes partis faire notre travail de la journée.
En arrivant au champ de mines, le sous-lieutenant Imparata s'est trompé. Il dit : « Les gars, restez ici et ne bougez pas, car il y a des mines par là. » Puis, il ajouta : « Toi, Berion — il y avait un caporal nommé Berion — viens avec moi et suis-moi. » Alors, le sous-lieutenant en tête, et le caporal Berion sur ses talons, ils firent quinze à vingt pas, et voilà déjà que le sous-lieutenant pose le pied sur une mine. La mine éclate. Le sous-lieutenant prend tous les éclats dans les deux jambes, parce qu'il avait marché en plein sur la mine. Et le sang coulait et coulait [gestes]. Le caporal qui le suivait, à une courte distance, a reçu les éclats dans les boyaux. Personne ne pouvait leur porter secours, parce qu'il n'y avait rien sur place, alors je ne fis ni une ni deux — car le lieutenant appelait sa mère « Mamma… Mamma… Mamma » — je lui fis : « Mon lieutenant — comme la compagnie nous donnait du citron, j'en avais avec moi — Mon lieutenant, moi j'ai du citron. Je suis Martinez, vous me reconnaissez? » « Oh, Martines, oui ». Et moi, je prends une tranche de citron et je la lui passe sur la bouche, pour lui donner un petit réconfort. Puis j'ai pris ma ceinture à munitions pour lui attacher les jambes, mais rien à faire, et le sous-lieutenant a rendu l'âme. Ceux de l'infirmerie avaient entendu l'explosion de la mine, alors ils ont envoyé une ambulance, mais quand elle est arrivée, c'était trop tard. Ils ont pris le sous-lieutenant et le caporal, les ont mis dans l'ambulance, et ils sont partis pour l'hôpital. Mais le sous-lieutenant est mort tout de suite. Pas le caporal. Le caporal, il est mort en arrivant à l'hôpital.
Et nous sommes restés dans cet endroit où nous devions ôter les mines. Puis, le lendemain, ils nous ont envoyé un sergent pour le déminage. Mais moi, je m'étais bien rendu compte que le sous-lieutenant s'était trompé. Plutôt que de pénétrer par l'endroit où nous avions commencé à poser les mines, il était entré par l'endroit où nous avions fini de les poser. Il était passé dans le mauvais sens. Parce que, quand nous posions les mines, on établissait une sorte de carte géographique. Sur le plan, on inscrit le point de séparation et le point de jonction. Les mines sont disposées en quinconce. Mais ce plan, ce n'est pas lui qui l'avait tracé, c'était quelqu'un d'autre, un soldat du génie. Donc, le sous-lieutenant est passé par ici [gestes], il ne se rendait pas compte de son erreur.
La mine était longue comme ça [comme le bras]. Quand on pose la mine, le détonateur n'est pas en position de tir. De la mine, il part trois fils, fins comme des cheveux, et d'une couleur telle qu'à peine posés, on ne les voit plus.
Avis : Si un membre de la famille désire connaître les derniers instants du sous-lieutenant Imparata, Monsieur Martines, qui en fut le témoin, est prêt à vous renseigner.
Donc, je me suis aperçu que le sous-lieutenant se trompait, mais je ne pouvais rien dire. Vous savez pourquoi? Parce qu'un soir, quand le moment de rejoindre le camp fut venu, le sous-lieutenant Imparata s'était trompé de route. Celui qui commandait l'escadron, c'était un caporal-chef nommé Marchetti. Ce caporal-chef s'est immobilisé et lui a dit : « Mon lieutenant, mais où est-ce que vous nous emmenez? Vous ne voyez pas que vous vous être trompé de chemin? Ça n'est pas la bonne route, ici. » Alors le sous-lieutenant lui répond : « Tais-toi, c'est moi qui commande, et tu dois te taire. » Alors le caporal-chef lui fait : « Moi je dois me taire? Très bien, puisque je dois me taire, ceux qui veulent venir avec moi, suivez-moi. Sinon, continuez votre chemin. Moi, je passe par là. Et les autres soldats, qu'ils me suivent s'ils le veulent. Parce que la bonne route, selon moi, c'est celle-là. Pas l'autre où vous nous conduisez ». Alors nous avons tous suivi le caporal-chef. En fait, la bonne route, c'était bien la sienne.
Je voulais donc dire que j'avais bien compris que le sous-lieutenant se trompait. Parce qu'il entrait par l'endroit où nous avions fini de poser les mines, plutôt que celui où nous avions fini de les poser. Et il ne s'en rendait pas compte. Puis, pendant longtemps, les choses me sont revenues à l'esprit, parce que j'y pensais tout le temps à ce sous-lieutenant Imparata et à son erreur fatale qui lui a coûté la vie, ainsi qu'au caporal Berion. J'y pensais, au fait que je sois sur les lieux quand il est tombé et qu'il a perdu la vie, que j'aurais pu prendre l'adresse de sa maison sur l'île d'Elbe afin d'écrire à sa famille : « Si vous voulez bien vous rendre chez moi, que je puisse vous renseigner sur l'incident. Vous dire qu'il est mort dans mes bras. Que je lui ai mis une petite tranche de citron dans la bouche, pour le soulager, pour le rafraîchir. Que j'ai bien essayé de lui attacher les jambes avec la ceinture à munitions, mais qu'il était trop tard, qu'il n'y avait plus rien à faire. » Et jusqu'à aujourd'hui [65 ans plus tard], ça m'a tracassé, moi qui aurais pu donner tous ces renseignements à la famille du lieutenant Imparata.
Propos recueillis et traduits de l'italien par Renaud Bouret
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