2007-12-16

Mieux vaut un métier qui nous plaise…

Photos  : Renaud Bouret - Kunming - 2007

(Un peu de pessimisme de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal. D'ailleurs Jean Rostand n'aurait-il pas affirmé : « Je me sens très optimiste quant à l'avenir du pessimisme. »)

« Mieux vaut faire un métier qui nous plaise que détester son travail ». Ce lieu commun, cette évidence creuse, cette incantation déguisée au culte du moi sert souvent d'alibi à la jeunesse pour éviter les programmes d'étude les plus exigeants. Le seul but de ce slogan vide d'information est, en fait, de donner bonne conscience aux petites lâchetés de l'individu face aux grands défis de la vie.

À ce compte-là, « mieux vaut être bien portant que malade, mieux vaut un seul coup de bâton que dix, mieux vaut mourir demain qu'aujourd'hui, et mieux vaut être aimé que détesté ». Voilà des conseils qui ne valent pas plus cher. Mais notre première maxime est pire : en faisant miroiter une réussite professionnelle facile et remplie de joies, on désarme la jeunesse. Nouveau darwinisme, qui n'épargnera que les plus solides.

Depuis que le but de la vie n'est plus d'accomplir son devoir mais d'être heureux, il paraît que le travail doit être une source d'épanouissement personnel. On a donc abandonné un devoir pour un autre. On est toujours esclave mais on a changé de maître. Or, ce nouveau maître est bien plus redoutable que le précédent : tyrannique, insécure, capricieux, inexpérimenté. Qui est-il? Nul autre que notre propre ego. Plus la jeunesse est libre, moins on lui laisse de choix : elle est condamnée à trouver le bonheur. Gare à celui ou celle qui échouerait.

Force est de constater que le noble but du travail dans la joie n'a jamais été atteint par beaucoup de monde. À côté des francs-tireurs épanouis, on rencontre quand même une armée d'employés qui meurent d'ennui sur le champ de bataille. Mais pourquoi s'intéresser aux échecs des générations qui nous ont précédés? Du passé faisons table rase. Quand on veut se bercer d'illusions, il faut éviter de poser un diagnostic.

Quand nos pères et nos mères ont entamé leur carrière de typographes, de soudeurs de transistors, de perforateurs de cartes IBM et de couseurs d'ourlets, se doutaient-ils que leurs métiers auraient disparu bien avant eux? Alors, comment la jeunesse d'aujourd'hui pourrait-elle imaginer ce que sera le marché du travail pendant le quasi demi-siècle que durera leur vie active?

Beaucoup d'étudiants préfèrent l'étude de la psychologie à celle des sciences. On ne peut leur reprocher de trouver la première plus agréable que la seconde, et il est clair que l'on retrouve de bons étudiants dans ces deux domaines (que nous prenons comme simples exemples). Mais y aura-t-il de la place pour tout le monde au joyeux banquet de la carrière psychologique? Si la place vient à manquer, on sacrifiera, comme toujours, les plus faibles. Ceux-ci, à l'âge où l'on s'embourgeoise, seront à nouveau jetés dans l'arène du chômage, souvent sans défense. Les étudiants en sciences seront-ils aussi vulnérables? Non, car le tri se fait dès les premières années, quand il est encore temps, et l'investissement intellectuel que l'on exige d'eux est, de gré ou de force, plus considérable pour tous.

Un travailleur qui aime son métier : Le cordonnier-réparateur-de-bicyclettes.

Mais, objectera-t-on, nous aurons toujours besoin de psychologues, d'aides gérontologues, de conseillers pédagogiques. Et on ne peut contraindre tout un peuple à être ingénieur. Pourtant, il suffit de se livrer à quelques petits calculs. Quel âge aura un jeune étudiant d'aujourd'hui dans 33 ans, c'est-à-dire en 2040? À peine 50, et loin de sa retraite. Le nombre de vieillards sera-t-il alors en hausse ou en baisse? Il est facile de prévoir que pour avoir 75 ans en 2040, il est presque obligatoire d'être né en 1965, justement au milieu d'une classe démographique plutôt creuse. Bon, d'accord, pour les aides gérontologues c'est foutu, mais qu'en sera-t-il des psychologues, dans un monde où les gens devraient être plus détraqués que jamais? Nous pourrions toujours rétorquer que seuls les bons psychologues resteront utiles, et non les mauvais. Mais le problème n'est pas là.

Tant que le développement économique et les ressources planétaires étaient réservés à une minorité, un petit milliard d'Occidentaux, il n'y avait pas à s'inquiéter. Mais voilà que les jeunes Chinois se mettent à étudier les sciences, par millions, et que leurs parents commencent à accaparer une bonne partie de notre pétrole et de notre blé. Et maintenant, les Indiens, un autre milliard, et tous ceux qui vont suivre. À l'avenir, les régions à faible productivité seront au service de celles qui sauront créer une forte valeur ajoutée. Pas de région prospère sans ingénieurs, sans innovateurs, sans entrepreneurs. Sans cette élite productrice de richesse, impossible de fournir un niveau de vie décent aux travailleurs moins qualifiés. Dans un pays pauvre, on n'a pas besoin de psychologues, ni d'aides gérontologues, ni de conseillers pédagogiques. On se contente de domestiques.

Pour jouir d'un métier intéressant, il faut souvent entreprendre des études rébarbatives. En tout cas, il est nécessaire de mettre le plus grand nombre d'atouts dans son jeu. Sait-on d'ailleurs, à 17 ans, ce qui nous intéressera pendant toute notre longue vie? Est-on obligé de choisir à l'aveuglette et de condamner dès le départ toutes les portes de sortie? Bien sûr, certains de ceux qui ont suivi leur ego s'en sortiront, mais que feront les autres? Comme leurs parents, ils mourront d'ennui au boulot, si toutefois ils en ont un.

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