2007-12-30

Le soldat Martines en Tunisie (4)

Au troisième jour de l'offensive alliée en Tunisie, les canons se taisent. Le bataillon italien du soldat Martines s'apprête à déposer les armes. (Voir l'épisode précédent ou le premier épisode des aventures vécues du soldat Martines.)

La fouille

Le 9 mai, c'était une belle journée ensoleillée. Je me suis dit : « Ah oui, ça c'est une belle journée! », parce qu'il était clair que d'un jour à l'autre, d'un instant à l'autre, nous serions faits prisonniers. J'ai profité du beau temps pour laver mon linge, mes serviettes, ma chemise, mes sous-vêtements. Le soir venu, à l'heure du souper, le camion est arrivé pour nous distribuer les rations. C'est alors que nous aperçûmes les troupes anglaises, françaises, américaines. Nous allions être capturés. Et le camion a débarqué les sacs de miches et de galettes, les boîtes de conserve, les macaronis, les pâtes cuites. Comme les autres soldats étaient campés plus bas dans la vallée, dans une tranchée, je les ai vu sortir se mettre en rang devant les troupes françaises et anglaises. Je n'avais pas encore pris ma ration, pas plus que les camarades. Mais eux, ils étaient déjà en route. Alors moi, je fais ni une ni deux, je me prend un morceau de miche, quelques galettes et je les fourre dans mon sac à dos. Parce que la captivité, on ne sait jamais comment ça va tourner. Et je suis sorti à découvert.

Quand je suis sorti de là, un officier, les deux pistolets au poing, me fait : « Come on! ». Et je me suis mis en rang avec le reste de la compagnie. J'avais bien fait de me prendre cette tranche de miche et ces quelques galettes, et de les fourrer dans mon sac, car au camp où on nous a conduits, là-bas, on ne nous a rien donné à manger, ni à boire. Mais moi justement, même si je ne pouvais rien toucher pendant la journée, la nuit venue, je me prenais quelque chose dans le sac et je mangeais.

Dans le coin où on nous a faits prisonniers, nous avons entrepris une longue marche. Il était à peu près cinq heures et nous avons marché je ne sais combien, jusqu'à neuf ou dix heures du soir. Nous sommes alors arrivés à un endroit où on nous a fait arrêter, et tout le monde s'est jeté par terre pour prendre un peu de repos. Les soldats français, en fait ces Marocains, Algériens, Tunisiens, Noirs, que sais-je, ils se sont précipités au milieu de nous pour nous demander de leur donner nos montres et notre argent. Mais quelques-uns d'entre nous ne voulaient pas les leur donner. Moi, de toute façon, je n'en avais pas de montre, comme beaucoup d'autres soldats, d'ailleurs.

Et on a marché, marché, jusqu'à l'endroit où ils devaient procéder à la fouille. Par exemple, pour voir qu'est-ce que nous avions dans les poches. Tous à la queue-leu-leu. Il y avait un soldat français [arabe] qui fouillait les prisonniers. Et ce soldat est venu à moi, dans la file, et il a pris mon portefeuille avec 1200 francs dedans. Il l'a ouvert, a regardé l'argent, l'a remis dedans, et a replacé mon portefeuille dans ma poche. Il passe le prisonnier suivant en revue, se fait remettre le portefeuille, l'ouvre, et il lui prend 200 francs, qu'il glisse dans une pochette de sa tunique. Tandis que ce garde passait au suivant, le soldat italien se retourne vers moi et me demande : « Martines, est-ce qu'on t'a pris ton argent, à toi? » « Non, je lui réponds, il a ouvert mon portefeuille, il a regardé l'argent, et il l'a remis. » Alors, le soldat me dit : « Moi, il m'a pris 200 francs. » J'ai réfléchi et je lui ai dit : « D'après moi, ils n'ont pas le droit de prendre notre argent. Va voir l'officier qui est là-bas, présente-toi à lui et dis-lui tout. » Et l'autre est resté sans bouger. « Mais, vas-y! », lui dis-je. Mais il ne voulait pas y aller. Alors je lui fais : « Écoute, ou bien tu y vas, ou bien c'est moi qui y vais. » Comme il ne voulait pas y aller, je me suis présenté à l'officier [un lieutenant français] et je l'ai fait le salut militaire. Bien sûr, je ne parlais pas français, mais je me suis débrouillé, je lui ai dit : « Soldat' — je les ai pointés du doigt — soldat' a soldat', d'arzan, dou-cent' franc' ». Et lui, il m'a tout de suite compris. Le lieutenant se tourne alors vers l'adjudant-chef et lui demande : « Est-ce qu'on doit prendre l'argent des prisonniers? » Bien sûr, je ne comprenais pas ce qu'ils disaient, mais je savais ce qui se passait. L'adjudant-chef, lui répond : « Non! » Le lieutenant lui dit : « Ce soldat-ci m'a dit que le garde a pris 200 francs à ce soldat-là. L'adjudant-chef va vers ce garde, dégaine son pistolet, et lui demande : « Tu lui as pris les 200 francs? » Et le garde lui dit : « [gémissements de frayeurs] ». [L'adjudant-chef] lui colle le pistolet là, en plein sur l'oreille, comme ça, puis il tend la main vers la pochette de la tunique, et les 200 francs y étaient encore. Puis il a donné un bon coup de pied [au garde], un coup de pied au derrière, et il l'a fait sortir des rangs. Alors l'adjudant-chef a rendu les 200 francs au prisonnier.

Pendant ce temps-là, il y avait aussi les Allemands. D'un côté les Italiens, de l'autre les Allemands. Un garde de ces troupes françaises a dit à un Allemand : « Donne-moi ta montre. » « Non, lui répond l'Allemand, je te donne pas ma montre, c'est ma mère qui m'en a fait cadeau quand je suis parti à la guerre, alors je te la donne pas. » Alors ce garde lui tire aussitôt dessus, simplement parce qu'il n'avait pas voulu donner sa montre. Au même moment arrive une longue colonne de prisonniers allemands. Et quand ils sont arrivés et qu'ils ont vu cette boucherie, ce garde qui avait descendu un Allemand, ils n'étaient vraiment pas contents. Mais comme nous avons dû partir, je ne sais pas comment ça c'est terminé.

Propos recueillis et traduits de l'italien par Renaud Bouret

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