2008-01-02

Le soldat Martines en Tunisie (5)

Après une première fouille, le soldat Martines et les autres prisonniers italiens sont conduits vers le camp d'internement de Pont-du-Fahs. Ironie du sort, cette région, sous contrôle militaire italien jusqu'au jour où nous reprenons notre récit, comptait déjà les infrastructures nécessaires, puisque qu'elle abritait plusieurs camps d'internement des Juifs de Tunisie (1942-43). (Voir l'épisode précédent ou le premier épisode des aventures vécues du soldat Martines.)

Le camp de concentration

Puis nous nous sommes remis en route, nous avons marché et encore marché, et nous sommes arrivés à une ligne de chemin de fer. On nous a fait monter sur le train, et nous avons roulé, je ne sais combien de temps. Arrivés dans un petit bourg, nommé Pont-du-Fas, là où se trouvait le camp de concentration, ils nous ont faits entrer dans ce camp.

Tout d'abord on nous passa à nouveau en revue, pour inspecter notre trousseau. Si nous avions deux chemises, on nous en enlevait une, si nous avions deux couvertures, on nous en enlevait une, on ne nous laissait qu'un seul ensemble de vêtements.

Et, pendant plusieurs jours, on ne nous donna rien à manger et rien à boire. Il faisait une chaleur incroyable. Les soldats étaient très nombreux dans cet endroit, la terre était sableuse, il y avait un peu de vent, de sorte que nous somme tous devenus sales. Moi, j'ai tenu le coup, avec plusieurs autres, mais beaucoup, beaucoup de soldats tombaient comme morts sur le sol. Alors on les emportait à l'infirmerie, on leur faisait une piqûre, puis ils revenaient.

À un certain moment, l'interprète italien dit : « Les gars, un soldat par peloton devra sortir, un seulement par peloton. Il prendra les gourdes des camarades, un garde l'accompagnera, et il se rendra au point d'eau. J'ai pris toutes les gourdes des camarades, je les ai enfilées autour de mon cou, vous pouvez imaginer l'air que j'avais, avec toutes ces gourdes sur moi. Donc, j'ai emporté un bidon, qui se trouvait là, et ces gourdes, et je suis parti avec les autres soldats. Chemin faisant, nous avons traversé un petit village, car il y avait un village non loin de là. Et, au milieu du village, il y avait une fontaine avec de l'eau. Mais nous avons continué sans nous arrêter, au-delà du village, et nous avons marché je ne sais combien, et nous étions tout simplement morts de fatigue à force de marcher. Alors, arrivés à un endroit, [le garde français] a dit : « Les gars, arrêtez-vous ici. Moi je continue sur la route pour voir s'il y a de l'eau ». Nous restions tous là, sans bouger, en attendant qu'il revienne pour nous annoncer : « J'ai trouvé le point d'eau ». Mais, le voilà qui revient, qui descend de la route, qui fait quelques pas à droite, à gauche avant de revenir nous dire : « Il n'y a pas d'eau ici, on doit rentrer. » Et de fait, nous sommes rentrés. Nous avons de nouveau traversé le village avec la fontaine et son eau, et on ne nous a pas laissé en prendre.

Devant l'entrée du camp, il y avait une rangée de bidons. Un soldat sort de la file pour voir s'il y avait de l'eau dans un bidon qui n'avait pas de couvercle. Et il y avait justement un peu d'eau. Il prend sa gourde, se baisse pour voir s'il peut recueillir ce peu d'eau. Le garde saisit aussitôt son fusil, va vers lui, et lui donne un coup de crosse dans le dos. Et nous sommes rentrés dans le camp.

Pendant tout ce temps, un camion-citerne arriva, rempli d'eau. Comme il pénétrait dans le camp, là où nous étions, le camion-citerne se mit à caler. Et il ne pouvait plus avancer ni reculer. Sur la citerne, il y avait un petit robinet qui fuyait, avec un minuscule filet d'eau qui coulait goutte à goutte, tout doucement. Un soldat va chercher son gobelet et s'avance pour prendre quelques gouttes d'eau. Le chauffeur du camion, qui avait une corde assez grosse, prend cette corde et se met à lui donner des coups dans le dos, à ce type.

Et nous sommes restés là sans manger, sans boire, en pleine chaleur. Au bout d'une semaine, le sergent italien, l'interprète, est revenu pour nous dire : « Vous allez désigner trente personnes, soldats ou sous-officiers. Ceux qui voudront partir partiront sur le champ. On camion les attend. Mais on ne sait pas où ni pourquoi. Ceux qui veulent partir, levez la main. On part tout de suite ». Alors moi… nous étions trois, pas des Siciliens comme moi, mais nous étions toujours ensemble… alors moi, voyant comme ça allait mal pour nous, je leur fis : « Les gars, vous voulez venir avec moi? Moi je m'en vais. Advienne que pourra, leur dis-je, mais je m'en vais. Ça ne nous avancera à rien de rester comme ça. » J'ai levé la main. Alors eux, en me voyant, ils en font autant. Très vite, nous étions trente trois : un adjudant-chef, un caporal-chef, un caporal, et les soldats. Le camion pouvait se mettre en route.

Propos recueillis et traduits de l'italien par Renaud Bouret

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