2009-04-27

Téléchargement illégal

Faut-il punir les pirates de l'Internet, qui téléchargent illégalement des disques, des films et d'autres créations dites « culturelles »? Nombreux sont ceux qui volent au secours des délinquants cybernétiques, en invoquant l'argumentation suivante : les fraudeurs sont souvent des jeunes, qui n'achèteraient de toute façon pas les produits qu'ils piratent, et la sanction prévue — une suspension de la connexion Internet — équivaut à la privation d'un service essentiel. Daniel Cohn-Bendit, eurodéputé et promoteur d'une contre-attaque à la loi française Hadopi (loi Création et Internet), reprend d'ailleurs ce refrain sur différentes tribunes (24-25 mars 2009).

Que faut-il penser de ces arguments? S'agit-il de sophismes? Et si on devait les retenir, quelles en seraient les implications?

Le premier argument fait appel à l'absence de préjudice pour excuser un acte qui serait clairement condamnable dans le monde non virtuel : même si on peut chiffrer le manque à gagner théorique des producteurs de disques et de films, on prétend que le piratage n'a aucun effet sur leurs recettes réelles, puisque, semble-t-il, les jeunes pirates n'auraient de toute façon jamais acheté les produits en question.

« Si tout le monde resquille, il devient impossible de resquiller. »
(Gonzague-Emmanuel Kant de Réquiroce)

Étendons le raisonnement à d'autres sphères de la production pour voir si la règle proposée peut s'appliquer de façon universelle? Supposons que Monsieur Chose, trouvant le vol Montréal-Paris trop cher pour lui, se résigne à rester à la maison. Soudain, Monsieur Chose se dit que, s'il voyageait en clandestin — sur un siège resté inutilisé, la compagnie aérienne ne perdrait pas d'argent.

Si on accepte le raisonnement de Monsieur Chose, tout service dont le coût marginal est nul ou presque, pourrait être consommé gratuitement… du moins par ceux qui auraient renoncé à ce service s'il avait fallu mettre la main au portefeuille. Les avions, les trains et les stades seraient remplis de resquilleurs. Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi les non-resquilleurs auraient encore envie de payer — et, du coup, ils bénéficieraient eux aussi de la gratuité automatique.

Un resquilleur qui ne fait de mal à personne

Par ailleurs, qu'est-ce qui permet d'affirmer que les jeunes pirates n'auraient de toute façon jamais acheté les produits en question? Les jeunes sont-ils trop pauvres? Les jeunes sont-ils vraiment plus pauvres que leurs parents? Et si c'était le cas, les pauvres sont-ils exemptés de payer les produits qu'ils consomment? Si on pousse l'argument jusqu'au bout, on peut en déduire que seuls ceux qui paient ordinairement les biens et les services qu'ils achètent commettraient un acte immoral en se mettant à les voler. Bref, seuls les honnêtes gens peuvent devenir de vrais voleurs (©), les autres ne sont que des victimes.

Il nous reste à vérifier si Internet est bien un service essentiel, et si son existence même apporte de nouvelles contraintes à la population tout en la privant de bénéfices qu'elle était accoutumée à recevoir d'autres sources. Ce sera pour une autre fois.

 

Post-scriptum

En chinois, télécharger se dit xiàzài, littéralement vers le bas + charger (comme download).
下载 xiàzài télécharger (vers soi)
xià sous, descendre
zài charger, prendre des passagers

Le japonais moderne se contente d'un calque phonétique moins élégant et plus prosaïque :
ダウンロード daonrōdo


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