2009-04-01

Le triste sort du paysan

Dans les revues consacrées aux sciences humaines, et remplies d'excellents articles, on tombe parfois sur des affirmations surprenantes. Ainsi, dans la rubrique des Dossiers de la recherche consacrée à l'apprentissage de la lecture (No 34, février 2009, p. 77), les auteurs n'oublient pas – après avoir souligné l'inanité de la méthode dite globale, par opposition à la méthode traditionnelle du B-A-BA – de proposer un petit laïus sur la mystérieuse écriture chinoise. Or, les sources de ce petit texte semblent plutôt émaner du téléphone arabe que d'un « dossier de recherche ».

On cloue encore nos planches alors que les Californiens cimentent leurs briques! Qu'est-ce qu'on attend pour cimenter nos planches? (Pierre Dubois-Cloutier)

Mais revenons un instant sur le processus d'acquisition de la lecture. L'article souligne, à juste titre, que la méthode globale, qui fait fi des Neurones de la lecture (Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2008), a été imaginée pour résoudre les problèmes d'apprentissage des petits anglophones. Il se trouve justement que la correspondance entre les phonèmes et les lettres, qui est à la base de la maîtrise de l'écriture, est beaucoup moins grande en anglais qu'en français, et surtout qu'en allemand ou en italien. On se demande encore comment des pédagogues québécois ont pu imposer pendant si longtemps aux petits francophones une méthode visant naïvement à résoudre les difficultés des petits anglophones.

« Les idéogrammes de l'écriture chinoise ne se décomposent pas en phonèmes. L'enfant est donc obligé d'apprendre par cœur les 4000 caractères de base, ce qui prend au minimum trois ans. Un petit Français doit, lui, savoir lire plus de 40 000 mots à la fin du CM2. » (Les Dossiers de la Recherche, No 34, février 2009, p. 77).

La légende de cet encadré est doublement surprenante. D'une part, on y confond mot et caractère chinois, et on qualifie ces caractères d'idéogrammes, ce qu'ils sont très rarement. De même que la connaissance de 26 lettres et de leurs agencements permet aux petits Français de déchiffrer (sans tous les comprendre) quelques 40 000 mots à la fin du CM2, soit après cinq ans d'études, la connaissance de 4000 caractères chinois donne accès à la lecture de plusieurs dizaines de milliers de mots chinois (qui sont, pour la plupart, constitués de deux caractères). D'autre part, comment les Chinois pourraient-ils raisonnablement apprendre 4000 caractères différents en trois ans, alors que les petits Français disposeraient de cinq ans pour déchiffrer une simple langue alphabétique? Le fait est que les écoliers chinois apprennent leurs caractères tout au long de leur scolarité, qui dure douze ans, et au terme de laquelle ils maîtrisent 2500 caractères communs et 1000 caractères courants. À partir de là, la lecture d'un mot contenant un caractère inconnu ne pose guère plus de problème que celle d'un mot nouveau en français : on en devine la prononciation et on vérifie sa définition dans un dictionnaire. Notons également que seuls les premiers caractères sont appris « par cœur ». Après quelques centaines de caractères, la logique prend le dessus sur la mémoire.

La photo illustrant la légende est insolite à plus d'un titre. De par l'habillement de l'institutrice et la graphie utilisée, on peut la dater des années 1960 ou 1970, à l'époque de la Révolution culturelle. Les poèmes inscrits au tableau, probablement ignorés des générations actuelles, relatent les souffrances du paysan chinois, un thème chéri du président Mao, et qui pourrait passer aujourd'hui pour provocateur. L'auteur des poèmes est Li Shen, qui vécut sous la dynastie des Tang, au VIIIe siècle.

(1) Le paysan manie sa binette sous le soleil de midi
Et mouille la terre de sa sueur.
Quand arrive le plateau rempli de mets
Qui se soucie alors du labeur contenu dans le moindre grain?

(2) On plante un grain au printemps
Pour en récolter cent à l'automne.
Dans tout le pays, pas un champ ne reste en friche
Mais le fermier meurt toujours de faim.

Voir la traduction annotée sur Ramou.net.

Quant à eux, les élèves Japonais doivent maîtriser près de 2000 caractères kanji (« chinois ») au terme de leurs douze années d'étude, dont la moitié pendant le cycle primaire. Les élèves de première année débutent en douceur, avec 80 caractères, puis le nombre monte à 160 l'année suivante, pour tourner autour de 200 par la suite (plus précisément 80, 160, 200, 200, 185 et 181 respectivement pour les six ans du primaire, et 939 pour l'ensemble du secondaire). Ça fait 440 caractères pour les trois premières années d'école : on est loin du compte des « 4000 caractères en trois ans » suggéré dans l'article!

Un autre article de la même revue rapporte une anecdote célèbre racontée par Hérodote. Mais, curieusement, la conclusion de cette savoureuse histoire est revue et corrigée à la lumière de la science moderne. Nous y reviendrons dans notre prochain billet.

1 commentaire:

Damien a dit...

Salut, si vous souhaitez apprendre le Chinois je vous conseille personnellement Your Chinese Institute. Plus d'infos sur www.chineseinstitute.fr