2007-02-14

L'approche par incompétence

Bai Lide en 2004 Légende : « Si la main du professeur de langue est capable de chausser un soulier chinois, elle possède automatiquement la compétence de chausser un soulier allemand, espagnol ou anglais. »
(Louis-Lazare ZAMENHOF II)

Avec l'avènement de l'approche par compétences dans les années 1990, chaque Cégep (premier cycle de l'enseignement supérieur au Québec) a été amené à redéfinir l'ensemble de ses programmes et de ses cours. Finis les objectifs et les méthodes pédagogiques, et place aux compétences et aux standards. L'opération a duré plusieurs années et exigé des centaines de milliers d'heures de réunion à travers le pays. Les cours ont été adaptés aux besoins spécifiques des régions. Aujourd'hui, par exemple, quelques 25 étudiants de Techniques administratives du Cégep de l'Outaouais bénéficient d'un cours de macroéconomie taillé sur mesure et unique au monde. Rien à voir avec le concept dépassé d'économie d'échelle.

Désormais, les plans de cours distribués aux étudiants doivent être construits à partir d'un plan cadre, adopté localement d'après une ébauche nationale, et l'enseignement des langues n'a pas échappé à cette contrainte. C'est ainsi que le plan de cours de Chinois I a été adopté en 2001, et le plan cadre qui lui servait de guide en… 2005!

Tant que l'on mettait la charrue pédagogique avant les bœufs bureaucratiques, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, Mais, à partir de 2005, il a donc bien fallu se plier aux directives des pédagogues du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport [sic]. Selon ces doctes spécialistes, l'énoncé de la compétence du cours de Chinois I se lit comme suit : Communiquer dans une langue moderne de façon restreinte. Cette compétence, brillamment définie, est d'ailleurs la même pour toutes les langues modernes et porte la même cote officielle. Les étudiants de Chinois I, Allemand I ou Espagnol I atteignent donc la même compétence. Et comme une compétence ne peut, par définition, être maîtrisée deux fois, il s'en suit qu'un étudiant qui a terminé son cours de Chinois I n'a pas le droit de s'inscrire en Allemand I ni en Espagnol I. On conviendra que cette règle surréaliste ne fait pas l'affaire des apprentis polyglottes. Le département des langues a bien sollicité une dérogation à la règle, en 2004, 2005 et 2006, mais son appel est resté sans réponse. Il semble que le problème soit bureaucratiquement insoluble, c'est pourquoi nous le soumettons aux lumières du public. En attendant, le seul moyen pour un étudiant de goûter à plusieurs langues est d'adopter un parcours tel que : Chinois I, suivi d'Allemand II, puis d'Espagnol III (authentique!). Ça, l'approche par compétences le permet!

Récréation : Jouons à l'approche par compétences!

Voici une liste de « critères de performance » (expression ésotérique forgée par les néopédagogues) que le ministère a imposés dans le cours de Langue étrangère I. Le jeu consiste à accoler le bon adjectif au bon critère.

Adjectifs : juste, explicite, logique, convenable, appropriée, cohérent.

    Critères :
  • Identification ______ des mots et des expressions idiomatiques.
  • Reconnaissance ______ du sens général de messages simples.
  • Association ______ entre les éléments du message.
  • Utilisation ______ des structures de la langue dans des propositions principales et coordonnées.
  • Application ______ des règles grammaticales.
  • Enchaînement ______ d’une suite de phrases simples.

Solution : les adjectifs sont dans le même ordre que les phrases à compléter. Mais ceux qui les ont mélangés ont néanmoins atteint la compétence de néopédagogue.

Si on applique le raisonnement par l'absurde, ce qui semble très approprié dans ce dossier, on pourrait définir l'incompétence des étudiants par les critères suivants :

  • Identification injuste des mots et des expressions idiomatiques.
  • Reconnaissance inexplicite du sens général de messages simples.
  • Association illogique entre les éléments du message.
  • Utilisation non convenable des structures de la langue dans des propositions principales et coordonnées.
  • Application inappropriée des règles grammaticales.
  • Enchaînement incohérent d’une suite de phrases simples.

Un des « critères de performance » imposés nous a posé un problème particulier. Il s'intitule « utilisation des verbes au présent de l’indicatif (à l'oral et à l'écrit) ». Étant donné que le chinois, comme beaucoup de langues dites étrangères, ignore ce type de conjugaison, nous avons essayé de biffer cet article du plan cadre local. Mais le fichier de base fourni par le ministère est protégé, par un mot de passe, contre l'effacement. On peut le compléter, mais on ne peut rien en retrancher. Il s'en suit que nos étudiants sont désormais les seuls au monde à « utiliser des verbes chinois au présent de l'indicatif ». Les Chinois eux-mêmes en sont tout à fait incapables.

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