Faut-il savoir compter?
Un fidèle lecteur, futur philosophe¹, nous fait part de ses doutes nocturnes : « Les probabilités ne sont-elles pas que la mesure de notre ignorance? Je ne m'entends guère en physique moderne. »
1. En réalité, il n'est, pour le moment, qu'un modeste prof de philo.
Comme nous sommes doté d'un esprit de contradiction, nous avons décidé de défendre la thèse suivante : « Les probabilités sont une source inattendue de connaissance. En fait, la plus grande source d'erreur de perception humaine provient d'une méconnaissance des lois qui gouvernent les probabilités et la mesure des choses ».
Ce ne sont pas les exemples qui manquent, aussi avons-nous choisi les plus récents.
Entendu le 21 février 2007 au bulletin de nouvelles de Radio Cane (à da) :
« Pour compenser les émissions de CO2 causées par le Carnaval de Rio, la ville de São Paolo a décidé de planter 15 000 arbres. »
Réaction : C'est-y beaucoup? (Réponse plus bas).
Aparté : Il faut aussi noter que l'annonce a eu lieu le mercredi des Cendres.
Entendu le 22 février 2007 dans un documentaire, sur la chaîne Planète :
« L'épopée de Manas (Kirghizistan) est la plus longue au monde. Elle compte deux millions de strophes, soit le double de l'Iliade et l'Odyssée mises bout à bout. »
Réaction : Encore un record de pété, réjouissons-nous d'avoir syntonisé cette chaîne.
Aparté : Nous constatons avec joie que l'étendue des épopées ne se mesure pas en nombre de terrains de football.
Pour que de telles âneries puissent circuler, il faut trois baudets : le rédacteur, l'annonceur et l'auditeur. Ces conditions improbables sont facilement réunies dans ce monde, non pas d'ignorance (rien de nouveau de ce côté-là, d'ailleurs l'ignorance n'est pas nécessairement une tare), mais où les ignorants prétendent faire un métier intellectuel.
Le déboisement net annuel au Brésil doit tourner autour de 0,6 % des forêts, soit 36 000 km² (source: mon bouquin de Méthodes quantitatives). Si on compte, par exemple, un arbre tous les huit mètres, il y en a 15 000 par km². Les arbres plantés cette année dans la métropole brésilienne équivalent à la déforestation effectuée en un seul quart d'heure dans tout le pays. Même si cette estimation est grossière, on est loin du compte. Il est donc inutile de s'ébahir devant la démagogie des élus municipaux de São Paolo.
En livre de poche (version italienne), L'Iliade et l'Odyssée totalisent environ 800 pages de 35 lignes, soit 28 000 lignes. Mettons entre 15 000 et 20 000 vers (et non strophes), à vue de nez. Si ces deux livres contenaient vraiment 500 000 strophes chacun, comme l'affirme le documentaire, il faudrait sans doute abandonner le format poche pour le format charrette (avec l'attelage approprié).
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