2007-07-14

Chanteurs à voix, chanteurs à tronche

Samedi matin, sur la chaîne du Guangxi, l'émission hebdomadaire de musique traditionnelle. Tous les classiques défilent, avec paroles en sous-titres, depuis Le baiser de maman jusqu'à Le peuple de Yanbian aime ardemment le président Mao, en passant par Mes amours villageoises. Plusieurs chansons se ressemblent, mais beaucoup marient agréablement paroles et mélodie. Les chanteuses, aux voix haut-perchées à l'ancienne, portent la robe de soirée, longue ou courte. Pour les chanteurs, ténors ou barytons confirmés, c'est le sempiternel smoking blanc avec nœud papillon doré, l'uniforme de l'armée populaire ou le simple blouson de tonton. Certaines chanteuses exhibent de grosses dents ou quelque autre défaut esthétique mal gommé par un épais maquillage. Plusieurs chanteurs cachent leurs sourcils touffus sous de grosses lunettes démodées et parfois maculées de... traces de doigt.

La scène étincelle, sous les néons et les projecteurs. Le public, largement cinquantenaire, tape dans ses mains, sans grande conviction, mais il apprécie manifestement la représentation. Un orchestre assez imposant accompagne les voix d'or. Malgré le talent évident des saxophonistes et des violonistes à deux cordes, les arrangements font hélas largement appel au clavier électronique, dans ce qu'il a de plus inexpressif. Mais il n'y a pas à y couper, ces sonorités sirupeuses faisaient partie des enregistrements originaux, dans les années 1970 et 1980, et, sans elles, le public ne s'y retrouverait pas. Le son du clavier électronique plaqué sur des voix aussi éclatantes, c'est un peu comme un autocollant de Mickey fixé sur la Joconde.

Pour clore le spectacle, un duo de jeunes chanteurs à la mode. Ils sont plutôt mignons, surtout le garçon : très colorés, gominés, décorés. Le garçon se donne un air de rebelle, du type « avec la gourmette en argent ». La fille, tout en portant une casquette de base-ball à la George W. Bush, réussit à avoir l'air moins niais que son partenaire. Pendant qu'on les admire, leur petite formation électrifiée passe à l'attaque. Si certaines chansons traditionnelles manquaient d'originalité, on entre maintenant dans le domaine du « parfaitement standard ». On nous offre le rock éternel, vieux déjà d'un demi-siècle malgré ses faux airs d'adolescent : même bloc de trois accords, même absence de mélodie élaborée, même solo de guitare électrique, note pour note. Seule la puissance de la caisse claire a évolué. Selon une loi similaire à celle qui régit la vitesse des microprocesseurs, le volume de la caisse claire double en effet à chaque décennie.

Attention, il vont se mettre à chanter. Ça valait déjà moins que rien, et pourtant c'est devenu pire! On ne doit jamais sous-estimer la capacité à faire avaler n'importe quoi au public. Comme dit le proverbe chinois : « Le loup parcourt mille lieues pour manger de la viande, le chien parcourt mille lieues pour manger de la merde. » Mais personne ne s'aperçoit de la piètre qualité de la musique, car personne n'écoute. Non, ils regardent : Le garçon se pâme en remuant légèrement le derrière. La fille, avec ses seins artificiels entièrement conformes au standard en vigueur (ce qui rappelle étrangement les trois accords éternels du rock), se donne une allure sportive.

Bien sûr, notre description est un peu forcée et la réalité n'est pas toujours aussi tranchée. Il existe un jeune public qui apprécie les voix de ténors, et de jeunes chanteurs qui possèdent des cordes vocales exceptionnelles. Mais la tendance est là. Comme nous l'écrivions dans un précédent billet, c'est aujourd'hui l'image qui prédomine, alors que la génération précédente privilégiait le son. Les yeux ont pris le pas sur les oreilles. Grâce à la télévision, on est passé de l'audio à l'audio-visuel, pour aboutir au visuel tout court. La musique sert alors de simple bruit de fond, dont le rôle est de susciter des réflexes conditionnés éminemment rentables.

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