2008-01-26

Le casse-tête de la romanisation du chinois

La Chine, le Japon et la Corée constituent aujourd’hui un des grands pôles économiques et technologiques de la planète. Ces pays ont aussi la particularité d’utiliser des systèmes d’écriture originaux et réputés difficiles, basés en partie ou en totalité sur ce qu’il est convenu d’appeler les caractères chinois. Bien que puisant à une source commune, chaque pays a adapté le système à ses exigences linguistiques et politiques. Au fil du temps, des divergences sont apparues, et se sont même accentuées dans ces dernières décennies de révolution informatique. Or ces systèmes d’écriture, qui ont pu un moment sembler dépassés, ne sont pas prêts de disparaître, et certaines divergences risquent d’être figées pour longtemps.

La question de la romanisation des langues d'Extrême-Orient s'est posée dès les premiers contacts suivis avec l'Occident. La romanisation peut s'avérer indispensable dans des contextes multilingues, comme les sites internet, les fiches bibliographiques ou l'indexation des bases de données. Elle pose par ailleurs un défi de taille au traducteur.

La romanisation du chinois

Les noms de ville énumérés par Marco Polo (XIIIe siècle) sont parfois facilement reconnaissables (Yangiu = Yangzhou, Namghin = Nanjing), mais des syllabes chinoises correspondant à un même caractère aboutissent souvent à un transcription multiple. Au début du XVIIe siècle, Matteo Ricci et Nicolas Trigault développent une approche plus systématique. Au XIXe siècle, les principales puissances européennes adoptent leur propre système de romanisation. Le système anglais de Wade est lui-même adapté de Morrison et modifié par Giles, et il diffère du système américain de Yale. Le système français a lui aussi connu plusieurs avatars avant d'aboutir à l'ÉFEO (École française d’Extrême-Orient), qui contient d'ailleurs des distinctions désormais inexistantes dans le système pinyin (standard ISO actuel) : le groupe pinyin j-q-x correspond à la fois au groupe ts-ts'-s et au groupe k-k'-h de l’ÉFEO. Mais cette nuance phonétique a aujourd’hui disparu en mandarin, puisque les Pékinois ne font pas la différence entre sifflantes et gutturales dans ces paires de consonnes (nommées jiānyīn et tuányīn). Les Allemands, les Italiens, les Espagnols, les Portugais et les Hollandais adapteront également la romanisation à leurs propres exigences phonétiques.

Seul un système de romanisation purement chinois pouvait amener de l'ordre dans un tel fouillis. Par ailleurs, les Chinois avaient besoin d'un système pratique pour indiquer la prononciation des caractères dans leurs dictionnaires. Après l'essai de divers projets, plus ou moins populaires, la Chine adopta en 1958 l'alphabet pinyin, constitué de 25 lettres latines combinées à des signes diacritiques indiquant le ton.

Si un remplacement pur et simple des caractères chinois par la transcription pinyin fut envisagé à cette époque par les grands dirigeants (Mao Zedong et Zhou Enlai notamment), ce projet peu réaliste fut vite abandonné. Les caractères favorisent en effet la communication entre les Chinois de différentes régions (ils parlent de nombreux dialectes) et les différentes époques (un texte ancien serait parfaitement inintelligible en caractères phonétiques), sans compter que la langue chinoise standard compte un nombre considérable d'homophones que la graphie sous forme de caractères permet heureusement de distinguer. Aujourd'hui, l'usage du pinyin reste relativement limité en Chine, sauf à l'école primaire. En 1979, l'adoption du pinyin par l'ISO accéléra sa diffusion à l'étranger.

Malgré la généralisation croissante du pinyin, l'analyse d'un texte chinois romanisé présente encore de sérieux défis. Il faut d'abord identifier la méthode de romanisation utilisée, surtout dans des textes plus anciens. Or ces méthodes se recoupent et utilisent parfois des orthographes identiques pour représenter une même syllabe ou des syllabes différentes. Supposons que la méthode utilisée soit celle de Wade-Giles, qui marque les lettres aspirées par une apostrophe. Il est courant de rencontrer des fautes d'orthographe (telles que l'absence de la fameuse apostrophe) et des graphies non standard (notamment en ce qui concerne des personnages, des lieux et des objets connus en Occident depuis longtemps). De nombreux mots sont affublés de traits d'union parasites, dont certains sont entrés dans l'usage (Hong-kong, Chan-toung mais Shanghai). Plusieurs systèmes de romanisation peuvent coexister dans un même texte. Certains personnages peuvent se voir affubler dans un même article de deux noms différents : de quoi subir un fâcheux dédoublement de personnalité!

Cette page de l'excellent livre de Jean-Claude Guillebaud contient des mots chinois transcrits en alphabet latin. Malheureusement, la transcription fait simultanément appel à plusieurs systèmes de romanisation, anciens ou modernes, voire inexistants (Jean-Claude Guillebaud, La Tyrannie du plaisir, Seuil, 1998, p. 260).

La première syllabe des mots 1 et 2, qui signifie « jaune », est orthographiée de deux façons différentes. L'apostrophe, qui sert à distinguer les consonnes aspirées des consonnes non aspirées, est présente dans le mot 3 mais absente du mot 7. La diphtongue oa (mots 1, 4, 5) correspond en fait à l'ÉFEO habituel oua. Les deux syllabes du mot 2 sont transcrites selon des systèmes différents (Wade et ÉFEO). Enfin, le mot 6 est transcrit en alphabet pinyin.

Les Turbans jaunes (mot 1) se soulèvent en 184 contre la dynastie Han. Les péripéties de cette révolte sont connues de tous les Chinois. L'expression livres jaunes (mot 2) fait référence, de nos jours, à la littérature érotique. Pour plus de détails, voir la traduction des mots chinois à la fin de cet article.

Le traduction anglaise conserve la romanisation « à la française » du document original. Les lecteurs anglophones doivent y perdre leur latin!

 

Traduction des caractères utilisés

1. huáng jaune
2. jīn tissu, serviette
3. shū livre
4. un
5. dào chemin, voie, principe
6. 光明 guāngmíng lumière, clarté
7. 日报 rìbào journal
8. grand
9. caractère
10. bào informer, journal, nouvelle
11. 天安门 Tiān'ānmén Porte de la paix céleste

Liens sur des tables de conversion :
Sinoptic
Université de Muenster

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