2006-12-09

Enfirouaper

Un enfirouapeur? Canadien en raquette [extrait des Voyages du baron de La Hontan : Tome 1, p. 191], Bibliothèque municipale de Montréal.

Quelle est l'origine du mot enfirouaper ou du nom de Cap-Chat? Autour d'une table de cafétéria, on trouvera toujours quelques savants autoproclamés pour proposer une explication scientifique et officielle. Scientifique car leur qualité d'indigènes pur-laine leur accorde automatiquement le statut d'expert en la matière. Officielle car ils tiennent leur information d'un ancêtre enfirouapeur ou d'un ex-collègue ayant campé dans les faubourgs cap-chattiens.

Pour notre savant du jour, le terme enfirouaper provient tout simplement de l'anglais in fur wrapped, c'est-à-dire enveloppé dans des fourrures. Cela va de soi : « Nos ancêtres (les Canayens) furent parfois réduits à certains expédients pour survivre, après la Conquête. Beaucoup d'entre eux se firent contrebandiers. En tant qu'héritiers des coureurs des bois, quoi de plus naturel alors que de cacher l'alcool clandestin dans de vulgaires peaux de castor et autres fourrures. Et comme la douane était tenue par les Anglais, l'expression consacrée devint [merchandise] in fur wrapped, d'où le verbe enfirouaper [les douaniers]. Le terme s'est alors étendu pour signifier aujourd'hui leurrer, embobiner (« fourrer »?). » Curieusement, ce mot d'origine anglaise ne se retrouve aujourd'hui qu'en français.

J'ose manifester un certain scepticisme. Comment faire coïncider historiquement la traite des fourrures et la prohibition des années 1920? Pourquoi les droits de douane s'appliquaient-ils à l'alcool tout en épargnant la pelleterie? À quoi bon utiliser une marchandise précieuse pour camoufler une marchandise semi-précieuse? Et puisque l'expression était devenue proverbiale, comment se fait-il que l'astuce échappait aux douaniers?

Il faut aussi scruter les preuves linguistiques. Quand le mot a-t-il été attesté pour la première fois? Se peut-il qu'il ait existé avant l'arrivée des Anglais, ou qu'il soit apparu d'abord loin des postes frontière? Est-il possible que le « w » muet de wrapped ait été transformé en un « ou » bien sonore en français par des contrebandiers probablement illettrés? D'ailleurs, l'expression in fur wrapped est-elle vraiment correcte en anglais? Ne dirait-on pas plutôt wrapped in furs? De toute façon, l'expression paraît pour le moins incongrue. Y a-t-il un seul Anglais sur la terre qui l'ait un jour prononcée?

Mon scepticisme est rejeté du revers de la main. Étant d'origine étrangère, je ne peux manifestement me prononcer sur une question éminemment autochtone. Ainsi va la science. Mais rien ne m'empêche de continuer à débattre en mon for intérieur. Si j'avais été un trafiquant ou un charlatan (pourquoi se limiter à la contrebande), j'aurais emballé ma marchandise ou mon baratin dans des fripes. Je les aurais enveloppés, je les aurais enfripés. En cherchant bien, on pourrait peut-être retrouver l'ancêtre du terme enfirouaper chez Renart ou Gargantua.

Dans un prochain article : Cap-Chat.

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