Bien, bon et beau
« Pourquoi un chirurgien peut-il parler d'une belle tumeur alors que la chose est la plus horrible qui soit? Dans le même ordre d'idées, nous disons couramment un beau salaud, une belle ordure... La beauté renvoie ici non pas à une qualité d'harmonie digne d'admiration, mais à l'intensité d'un cas rare et intéressant. D'où le lien avec la beauté esthétique : la beauté est rare et suscite en nous un intérêt particulier. » (Christian Godin, Le Comptoir philosophique, Éditions First, 2007, p. 40)
La démonstration nous paraît un peu forcée. Pourquoi faire cadrer à tout prix le sens habituel du mot beau avec les expressions évoquées, alors que beau est ici un mot vide, dont la fonction relève de la langue et non du monde réel? Les mots beau, bon et bien jouent souvent un rôle linguistique plus ou moins similaire, comme l'illustrent les trois exemples qui suivent.
- 1. Ça représente un beau détour.
- 2. J'ai attendu une bonne dizaine de minutes.
- 3. Elle part bien demain?
L'exemple 1 pourrait se traduire de la façon suivante : « Le détour est assez grand pour que nous nous en préoccupions. Tu en es probablement conscient mais je tenais à m'en assurer. » On peut apprécier le raccourci que nous procure le mot beau.
Exemple 2 : « J'ai attendu dix minutes. J'espère que tu te rends compte que c'est long (et que tu es responsable de la chose). »
Exemple 3 : « Peux-tu me confirmer que la proposition [elle + part + demain] est toujours valable? » Nous avons déjà traité de ce sujet dans le billet intitulé Elle part bien demain?.
Une belle crapule
Dessin de Renaud Bouret - 1979
En fin de compte, les mots beau, bon et bien servent à souligner ou à confirmer un fait qui est connu des interlocuteurs, ou qui devrait l'être. Le choix du terme exact dépendra du message auquel celui-ci est rattaché. Pour souligner quelque chose de mesurable, on préfèrera bon (trois bons kilomètres). Devant un substantif on choisira tout naturellement beau (un beau salaud). Lorsque la confirmation porte sur l'ensemble sujet + prédicat, on utilisera bien. Mais les trois termes sont parfois interchangeables : C'est beau dommage (en québécois). Tu devrais prendre un bon bain. Tout est une question d'époque, de lieu ou de contamination.
Un beau pétard
Dessin de Renaud Bouret - 1978
On remarquera au passage l'utilisation du féminin dans un belle ordure ou une grosse crapule. Même s'il est probable que la personne désignée soit de sexe masculin, l'oreille trouve les expressions toutes naturelles. C'est une preuve supplémentaire que le genre (signe de la langue) et le sexe (réalité du monde) ne se confondent pas. (Voir le billet intitulé Le féminin existe-t-il?)
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