Car et parce que
Le Car et le Parce que
Dessins de Rié Mochizuki
Jusqu'à l'âge de l'école, je ne connaissais que le parce que. Les Italiens du coin disaient d'ailleurs « pourquoi » : « Ma mère, elle nous a pas laissés sortir pourquoi il pleuvait trop fort ». Et puis, soudain, en plein milieu de la classe de français, la bonne sœur nous apprend l'existence d'un nouveau mot : car. Une sorte de remplaçant au parce que, quand on veut éviter les répétitions, du moins dans la langue écrite. Mais attention les enfants, il y a, entre les deux termes, une nuance réelle, quoique difficile à saisir. Les grammaires sérieuses appellent le premier « conjonction causale explicative », et le second « conjonction causale démonstrative ».
Tout ça ne portait pas vraiment à conséquence. Il suffisait de semer quelques car dans ses textes et la bonne sœur était satisfaite.
Puis, en montant en grade, les choses se sont compliquées. Les professeurs se sont insidieusement mis à raturer certains des parce que et des car qui émaillaient les rédactions. Tantôt le parce que était interdit, tantôt c'était le car, et parfois les deux étaient admis. Heureusement, bien des années plus tard, alors que je m'escrimais péniblement sur les particules du chinois, j'eus la révélation d'un principe simple qui explique bien des mystères de la grammaire française.
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Prenons l'exemple classique de Legrand (Méthode de stylistique française, J. de Gigord, Paris, 1966)
- 1. L'éther soulage la douleur d'une brûlure parce qu'il se vaporise très promptement. (Explication)
- 2. L'éther soulage la douleur d'une brûlure car il se vaporise très promptement. (Démonstration)
Ici encore (voir nos précédents billets de la rubrique linguistique), tout est question de distinction entre ce qui est présupposé par les interlocuteurs et ce qui n'a pas encore été déterminé. Dans l'exemple 1, la phrase suit l'ordre de la pensée : on énonce un fait (l'éther soulage la douleur d'une brûlure) et on en propose la raison (il se vaporise très promptement). Dans l'exemple 2, la seconde partie de la phrase est cette fois la première idée qui est venue à l'esprit du locuteur : le remplacement de parce que par car sert à signaler cette inversion. L'exemple 2 aurait pu s'écrire : C'est parce que l'éther se vaporise très promptement qu'il soulage la douleur d'une brûlure .
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Les deux structures de base peuvent se représenter ainsi, A étant la première idée venue à l'esprit et B, la seconde :
- A parce que B
- B car A
Le choix de parce que et de car ne relève donc pas d'une simple nuance, mais modifie carrément l'ordre logique des éléments du message.
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On peut ajouter aux deux modèles de base les structures suivantes :
- A donc B (ordre normal)
- Puisque B, [alors] A (ordre inversé)
- Comme B, A (ordre inversé)
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Regardons les deux exemples suivants :
- 1. Tu n'iras pas jouer car tu n'as pas fini tes devoirs.
- 2. Il n'ira pas jouer parce qu'il n'a pas fini ses devoirs.
Dans le premier exemple, l'ordre de la pensée est le suivant :
A = Paul n'a pas fini ses devoirs. (Paul, à qui on s'adresse, en est parfaitement conscient.)
B = Paul n'ira pas jouer. (C'est la conséquence de A.)
On utilise car pour marquer le renversement entre l'ordre de la pensée et l'ordre du message.
Dans le second exemple, l'ordre du message correspond à l'ordre de la pensée :
A = Paul n'ira pas jouer. (On en informe une tierce personne, qui n'est pas au courant.)
B = Paul n'a pas fini ses devoirs. (On lui en précise la cause.)
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On peut constater que l'inversion de l'ordre des propositions n'est possible qu'avec parce que :
- × Car tu n'as pas fini tes devoirs, tu n'iras pas jouer. (Phrase non grammaticale)
- Parce qu'il n'a pas fini ses devoirs, il n'ira pas jouer.
Dans cette dernière phrase avec parce que, l'ordre du message correspond encore à l'ordre de la pensée :
A = Paul n'a pas fini ses devoirs.
B = Paul n'ira pas jouer. (C'est la conséquence de A.)
Par contre, étant donné que car marque l'inversion entre l'ordre de la pensée et celui du message, il ne peut être placé que devant la seconde proposition.
En général, les formes en parce que et en car sont possibles simultanément : tout dépend de l'intention du locuteur. Mais parfois, le sens du message interdit la forme en parce que :
- Il doit être sourd car il n'a pas sursauté au bruit de l'explosion.
Ici, la première partie de la phrase ne peut se concevoir si la seconde n'a pas été préalablement considérée par le locuteur.
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