2008-06-18

Enquête au parc des Sept étoiles

La ville de Guilin vue d'une des Sept collines

Aujourd'hui commence le sondage de l'enquête sur le tourisme intérieur chinois. Je me joins à l'auteur de l'enquête, professeur à l'Université de La Rochelle, pour interroger les visiteurs du parc des Sept étoiles. Pour cette première, le public est plutôt réceptif. Le questionnaire est bilingue (français-chinois), mais les sondés préfèrent généralement répondre de vive voix.

En quittant le parc, je tombe sur un certain Monsieur Zhou, retraité pétant d'énergie, avec qui j'engage une conversation, qui se transforme rapidement en monologue. Monsieur Zhou était le fils cadet d'une famille de cinq garçons et de deux filles, dans le nord du pays. Pour nourrir toutes ces bouches, on n'envoyait à l'école que l'aîné, le reste de la marmaille étant destiné à cultiver la terre ou à s'embaucher comme apprenti. Malgré tout, le petit Zhou se retrouva un jour sur les bancs de l'école, où on l'avait envoyé faire une commission. Comme le petit Zhou s'attardait dans la classe, le maître lui fit remarquer:
— Tu perds ton temps, mon garçon, tu serais bien en peine de déchiffrer ce qui est inscrit au tableau.
Mais à la surprise générale, le petit Zhou se mit à épeler les caractères, l'un après l'autre. C'est que la maison Zhou possédait un exemplaire des analectes de Confucius, et le petit Zhou en avait appris deux chapitres par cœur. Le maître, conquis, réussit à convaincre le père Zhou de lui confier son cadet, et ce dernier put, bravant son destin, acquérir une formation scolaire.

Les années passèrent, et vint le moment de s'enrôler à l'école secondaire. Pour cela, on devait se rendre à Pékin, la cité la plus proche. C'était au début de la révolution. La commune populaire faisait ses adieux à ses rares enfants devant partir pour la capitale, et le petit Zhou les regardait s'éloigner. L'un des écoliers héla soudain le petit Zhou:
— Hé là, petit Zhou, qu'attends-tu pour faire ton baluchon?
— Non, moi je n'y vais pas. Je ne suis que le cadet de la famille.
— Mais oui, nigaud, l'instituteur a économisé sur son salaire et t'a préparé une bourse.

Et c'était vrai. Le petit Zhou s'empressa de prendre congé de ses parents, sans effusions, comme il se doit dans ces contrées. Sa mère, un moment en retrait, le rappela sur le pas de la porte: Je n'ai pas d'argent à te donner, mais tu vas emporter ce paquet de galettes de blé, qu'on gardait derrière le kang. Tu feras de la soupe une fois par jour, car il faudra ménager ta nourriture.

Les heureux écoliers d'aujourd'hui,au pied des Sept collines
Le petit Zhou arriva ainsi à la gare de Qianmen, aujourd'hui détruite. D'ailleurs, tout le vieux quartier de Pékin autour de Qianmen, l'ancien coeur de la cité chinoise depuis les Mongols, a été rasé puis rebâti, à l'occasion des Jeux Olympiques. Aussitôt débarqués du train, le petit Zhou et ses jeunes compatriotes s'enquirent, auprès d'un adulte indigène, d'un dortoir bon marché où de pauvres paysans pourraient prendre pension. Dans le dortoir, nous étions tous nus, affirme le vieux Zhou, plus de soixante ans plus tard, en joignant le geste à la parole et se dépouillant de la veste bleue qu'il porte à même la peau, sous le regard amusé de ses vieux compères assis avec moi sur le banc.
— Et en plus, ajoute le vieux Zhou en se pointant le menton avec le bout de sa canne, nous devions grimper sur un bambou… Mais je postillonne sur vous, Monsieur, alors que nous sommes à peine des amis. Je vous prie d'excuser mon impolitesse et je m'aperçois que j'ai trop parlé, comme d'habitude.
Ses compères hochent la tête.
— Et bien cher Monsieur, je ne vous retiens pas plus longtemps, je vous ai assez ennuyé avec mes bavardages.

Je ne saurai donc pas la fin de l'histoire, mais je peux vous assurer que Monsieur Zhou, que les hasards de la politique ont conduit dans cette province limitrophe du Viêtnam, est aujourd'hui totalement instruit et plus vivant que jamais.

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